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Maintenant quelle est la nature de M. Barnum ? Il me semble que nous la connaissons déjà en partie. Il n’a aucune fécondité d’esprit et possède un caractère heureux, qui lui fait voir le monde et la morale sous les teintes les plus rosées. Il est gai, plaisant, bon père de famille et vertueux citoyen. M. Barnum est un simple bourgeois, et nous prenons ce mot dans le sens que lui donnent les peintres sans public et les poètes sans lecteurs. Pour donner une idée de la nature de cet homme, nous sommes obligé d’emprunter des noms aux masques de quelques parades contemporaines. M. Barnum est une combinaison assez curieuse de Bilboquet et de M. Prudhomme. Comme le premier, il est gai, d’humeur égale dans la bonne et dans la mauvaise fortune. Ses fourberies ne vont jamais plus loin que l’exhibition d’un animal fabuleux ou d’une femme sauvage. Vous pouvez lui confier en toute sûreté votre fille et votre malle. C’est là le côté gai de M. Barnum; mais, comme M. Prudhomme, il est drôlatiquement sérieux, et au moment où l’on s’y attend le moins, d’austères sentences de morale tombent de ses lèvres. Il parle en phrases cicéroniennes de « l’excellence de nos institutions, » des douceurs du foyer, des plaisirs de la vertu. Il espère dans celui qui est mort pour nous tous. Il s’appuie sur l’autorité du docteur Channing. Il a ses petites opinions sur les arts, spécialement sur l’architecture, et il corrobore ses opinions par le témoignage de sir William Temple. Il vénère la religion, mais il ne veut pas que ses ministres soient trop puissans, « car l’histoire lui a appris combien de hideuses actions ont été commises au nom de la religion. » Enfin, si le premier but de M. Barnum a été de faire fortune, le second a été d’éclairer ses concitoyens et même de les amuser. Il se donne à lui-même le titre de bienfaiteur public. N’a-t-il pas ouvert l’American Museum, qui a répandu parmi les masses le goût, de l’histoire naturelle et la connaissance des diverses formes de la vie animale mieux qu’aucune université, qu’aucun savant ne l’ont fait en Amérique? N’a-t-il pas plus que personne répandu parmi ses concitoyens le goût de la musique par la fameuse exhibition de Jenny Lind? Les Américains manquent d’idéalisme; « pour eux, une primevère n’est qu’une fleur, et rien de plus. » M. Barnum a voulu leur donner des goûts plus esthétiques! Enfin on travaille trop en Amérique; les concitoyens de M. Barnum sacrifient trop au go a head, et violent trop brutalement les lois de la nature. L’esprit a besoin de délassemens innocens, et c’est pour cela que la religion, d’accord avec la nature, a institué les jours de fête. « Dans les pays catholiques, il y a trop de jours de fête; chez nous, il n’y en a pas assez. » M. Barnum a voulu remédier à cet inconvénient et donner aux Américains les jours de fête qui leur manquaient. Tout cela est dit naïvement, sérieusement. Nous