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les deux armées ; mais par suite du changement de plan, il faut reconnaître que, sauf l’effet moral, elle a été stérile, el, sous certains rapports, nuisible. En mettant le siège devant Sébastopol, on peut affirmer avec certitude que le point d’attaque le plus avantageux était le côté nord. Là, le terrain est le point le plus élevé, et le grand ouvrage octogone qui le couronne est la clé de la place. Ceci pris, les batteries du Télégraphe et du Wasp sur les hauteurs du nord, et le fort Constantin et autres forts au-dessous, étant commandés et pris à revers, doivent promptement succomber, en même temps que la ville, les bassins, l’arsenal et les casernes du côté sud du port seraient à la merci des alliés, qui avec le feu de leurs batteries auraient pu les détruire entièrement. Au contraire, en attaquant la place par le sud pendant que l’ennemi occupe les hauteurs nord, quand même on emporterait les hauteurs du sud, la ville, avec ses bassins et ses arsenaux, ne sera pas tenable pour les assiégeans tant qu’on n’aura pas pris le grand fort du nord et toutes ses dépendances, qui sans aucun doute auront été considérablement fortifiés avant que les alliés soient en mesure de les attaquer. La marche de flanc vers le sud a livré complètement à l’ennemi une communication libre entre la place assiégée et l’armée d’observation, et a laissé ouverte sa ligne d’opérations depuis sa base à Pérékop ; elle a aussi révélé le fait alarmant, que, faute de forces suffisantes, Sébastopol ne pouvait pas être investie de tous les côtés, qu’on était forcé de tourner le point le plus avantageux au lieu de l’attaquer, et de laisser à l’ennemi sa communication libre avec son point le plus fort, sa citadelle ; enfin qu’au lieu d’assiéger Sébastopol, l’armée alliée n’allait attaquer qu’une position retranchée sur les hauteurs du sud, laquelle était appuyée sur ses derrières par les ouvrages les plus forts de la place et restait libre de recevoir des renforts de toute espèce, pendant que de son côté l’attaque se faisait sans la protection d’une armée en campagne indispensable pour couvrir la force assiégeante. La marche de flanc de toute l’armée au sud a donc été une faute de stratégie. »


Sir Howard Douglas appuie sur l’impossibilité de prendre une ville forte sans l’investir ; il cite à cette occasion le siège de Silistrie l’année dernière et le siège de Mantoue par le général Bonaparte en 1796, et il dit :


« La position des alliés devant Sébastopol est à peu près semblable à celle de Napoléon Ier quand il assiégea Mantoue. Ce grand général, se voyant en danger d’être immédiatement enveloppé par les deux armées qui s’avançaient au secours de la place, n’hésita pas à lever le siège, abandonnant mêmes son artillerie de siège. Il jeta toute son armée successivement sur chacune des deux armées autrichiennes, et en les battant l’une après l’autre il frappa le coup décisif qui le fit maître du nord de l’Italie.

« La manière dont les troupes campées devant Sébastopol ont pu supporter leurs fatigues, leur travail dans les tranchées, est un vrai miracle dans l’histoire de la guerre. Les forces destinées à garder les tranchées, ne peuvent pas être calculées en proportion avec la force de la garnison, puisque la place n’étant pas investie, on ne peut pas le savoir ; mais ce que nous savons, c’est que les hommes de service dans les lignes représentaient à peu près la moitié de la force effective de la division qui les donnait, et que la plus grande