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représentant de la première ville commerciale de l’Angleterre, et plus à portée qu’aucun autre de connaître l’état des classes ouvrières. Or voici ce que disait M. Bright dans un des grands centres manufacturiers du nord : « Je sais bien, disait-il, qu’il y en a qui regardent comme une règle de la Providence qu’il y ait d’un côté des gens très riches et de l’autre des gens très pauvres. Mettant de côté ces théories, je dirai seulement qu’un homme serait aveugle, — qu’il devrait avoir quelqu’un pour le mener quand il sort, ou qu’il ne devrait pas sortir du tout, — s’il ne voyait pas que l’absorption que fait le gouvernement de tous les produits ou de la somme équivalente aux produits de l’industrie d’une si grande population doit nécessairement tendre à créer un accroissement considérable de souffrances et de paupérisme. Je suis, je dois le dire, de ceux qui envisagent sous les couleurs les plus sombres notre position présente et celle à laquelle nous marchons… Non-seulement toutes nos sources de prospérité à l’intérieur sont taries par l’appauvrissement général, mais il n’y a pas un marché sur la surface du globe qui n’en reçoive le contre-coup. Nous sommes dans un état de concurrence effrénée, nous produisons plus que le monde ne consomme, et nous continuons de nous faire concurrence à mesure que nos consommateurs diminuent… Le paupérisme augmente dans des proportions effrayantes… Depuis deux ou trois ans nous n’avions plus de mendians, nous en avons maintenant comme il y a dix ou quinze ans… Il y a des gens qui croient que parce que le gouvernement fait des commandes, le commerce marche ; mais faire aller le commerce avec les impôts du pays, n’est-ce pas vouloir nourrir un chien en lui donnant sa queue à manger ?… Quelle qu’en soit la cause, si le blé continue à être à 70 shillings, ce ne sont pas les changemens de cabinets ou de premiers ministres, ce ne sont pas les rêves de gloire militaire, ce ne sont pas les inventions de la politique des hommes ou de l’imposture des hommes qui empêcheront la population de s’enfoncer de plus en plus dans la souffrance, de tomber de la souffrance dans le mécontentement, et enfin du mécontentement dans la révolte. Ma profonde et solennelle conviction est que si la guerre continue d’arrêter l’importation du blé dont nous avons besoin, avant deux ans vous serez occupés à fusiller vos concitoyens dans les rues… Je suis convaincu que nous sommes sur le seuil de difficultés dont ne se doutent même pas ceux qui soutiennent à grands cris la politique qui nous les apporte, et le jour où elles viendront, ils seront aussi terrifiés que nous les avons vus quand de semblables désastres ont frappé le pays… Je pourrais vous citer des villes où le commerce est dans un état où il n’a pas été depuis bien des années ; je ne vois pas de raison pour que cet état n’augmente pas… C’est à vous de faire comprendre à ceux