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tout 589,000 francs pour les dix-huit établissemens. La proportion était pour Paris, qui comptait trente associations, d’un tiers en nombre et d’un cinquième en somme ; pour les départemens, qui en comptaient vingt-six, d’un quart en somme et d’un tiers en nombre. Ce chiffre de 589,000 francs ne constituait pas, il est vrai, une perte équivalente pour le trésor : il y avait là-dessus des rentrées possibles et des hypothèques prises ; mais le fait grave, le fait saillant, c’est qu’à l’expiration de l’année, dix-huit établissemens sur cinquante-six étaient en pleine dissolution, c’est qu’après une première campagne le tiers de l’armée était déjà hors de combat[1].

Telle est la part des mécomptes et des échecs dans l’année même du début ; depuis lors, elle n’a fait que s’accroître. En 1851, il y avait eu douze nouvelles révocations de prêt, huit à Paris pour une somme de 202,000 fr., quatre en province pour une somme de 163,000 fr. D’année en année et de mois en mois, on a vu augmenter le nombre des associations qui s’éteignaient et décroître celui des associations qui restaient debout ; encore ces dernières ne le devaient-elles qu’à une sorte d’abandon de leur principe et à une transformation de leurs élémens. Sept ou huit au plus sont aujourd’hui dans ce cas, comme un dernier débris de ce naufrage industriel et financier ; le reste a disparu.

Je suis arrivé au bout de cette édifiante histoire, la plus éloquente réfutation qu’on puisse opposer aux doctrines de M. Mill sur l’association. Je l’ai écrite avec les pièces sous les yeux, et en ne m’appuyant que de documens officiels. Des deux côtés le procès est instruit, et l’arrêt est facile à rendre. Ce que la raison condamnait, les faits ne l’absolvent pas ; l’application et la théorie sont d’accord. Non-seulement ces associations d’ouvriers ne sont pas viables, mais elles n’ont pas vécu, dans la sérieuse acception du mot. Il était bon que cette preuve fût acquise, et c’est à dessein que je m’y suis étendu.

  1. Rien de plus curieux ni de plus significatif que la page d’observations où sont consignés les motifs à raison desquels ces prêts ont été révoqués. Ici c’est un gérant qui emporte la caisse et les registres de la comptabilité ; ailleurs ce sont des infractions multipliées aux statuts. Dans beaucoup de cas, il n’y a ni travail positif, ni association sérieuse ; deux ou trois personnes se partagent les avances du trésor et en disposent pour leurs besoins jusqu’à épuisement. Parfois la société est abandonnée de tous ses membres, et quand on se transporte au siège qu’elle a choisi, il ne s’y trouve personne pour la représenter. En d’autres occasions, il y a dol réel, mauvais emploi de matières ou suppositions de signatures dans les souscriptions d’actions : ici des ouvriers sans gérans, là des gérans sans ouvriers ; enfin trois faillites légales, ouvertes et déclarées six mois après des versemens importans faits par l’administration. Une circonstance est encore à noter pour s’être plusieurs fois reproduite : c’est que des ouvriers eux-mêmes, convaincus de leur impuissance et voyant leurs fonds s’en aller sans profit, ont demandé à l’état de vouloir bien dissoudre leur société et procéder le plus tôt possible à une liquidation.