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ont été livrés à la publicité. Des faits significatifs se sont produits depuis l’époque où M. Mill leur attribuait une importance exagérée, en s’aidant de documens incomplets ou insuffisans. L’économiste anglais aurait donc pu, dans la troisième édition de son livre, corriger les erreurs de la première. Dans cette même année 1848, qui vit éclore tant d’associations libres, notre gouvernement céda comme la nation tout entière, on le sait, à l’esprit d’innovation et se prêta à une expérience officielle. Ln fonds de 3 millions fut voté le 5 juillet par l’assemblée constituante et consacré à former, sous la surveillance de l’état, des associations entre ouvriers et entre patrons et ouvriers. Ces trois millions n’étaient pas un don, mais un prêt remboursable par annuités. Pour le répartir, un conseil d’encouragement fut institué auprès du ministre de l’agriculture et du commerce, et l’histoire de ces subsides est pleine de déceptions qui ébranleraient la foi la plus robuste. Qu’on nous permette d’en tirer quelques argumens contre les théories défendues par M. Mill. Il y a là des souvenirs qu’il ne faut pas craindre de rappeler, et le point de vue même où s’est placé l’économiste nous oblige à tourner un moment nos regards vers le passé.

Une sorte de curée où se précipitèrent toutes les industries en souffrance, tel fut le premier résultat du vote des trois millions destinés à favoriser en France l’établissement des associations d’ouvriers, ou, en d’autres termes, l’application des théories de M. Mill. Il y eut, cela va sans dire, affluence de pétitions et concours de solliciteurs. On ne peut pas évaluer à moins de six cents le nombre des demandes qui parvinrent au conseil d’encouragement chargé de distribuer les fonds ; Paris en fournit le contingent le plus considérable, près de trois cents, et émanées d’ouvriers en très grande partie. La Seine Inférieure et l’Eure venaient après Paris par ordre d’importance, puis le Nord et le Rhône. En calculant d’une manière approximative le nombre des ouvriers ou patrons sciemment ou à leur insu intéressés à ces demandes, on arrivait à un chiffre de soixante mille individus. Il fallait se hâter de choisir entre eux ; il fallait surtout écarter dès le début cette masse d’aventuriers et de parasites qui se portent du côté de l’argent et s’imposent à force d’obsessions et de bruit. Le conseil d’encouragement y mit du zèle et de la conscience ; mais les difficultés d’une pareille tâche le dominaient. De bons choix, une distribution judicieuse n’auraient pu avoir lieu qu’à la suite d’une instruction longue et précise, et le temps manquait pour cela. C’eût été une série d’enquêtes à ouvrir et sur l’objet même de chaque association et sur les personnes qui devaient la composer. Or comment y procéder autrement que d’une manière sommaire, défectueuse par conséquent ? Les erreurs, les surprises étaient inévitables, et il y en