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LA COMÉDIE ITALIENNE.

Parmi les théâtres étrangers, le théâtre italien est un de ceux que la France connaît le moins, et que peut-être elle a le moins cherché à connaître. Aussi était-ce une entreprise hasardeuse que de venir représenter à Paris la tragédie et la comédie italiennes devant un public qu’on pouvait supposer à bon droit ignorant ou indifférent. Cette entreprise a été tentée cependant, et aujourd’hui le succès n’en est plus douteux. Le public parisien a répondu avec empressement au timide appel de quatre ou cinq comédiens modestes qui s’ignoraient presque et qui s’étonnent encore aujourd’hui de leur succès. Comment s’expliquer un résultat si peu attendu ? Est-ce au choix des œuvres représentées, est-ce au mérite des interprètes qu’il faut l’attribuer ? Quelques mots sur les unes et sur les autres seront notre réponse.

Ce serait se former une idée inexacte du répertoire ordinaire des théâtres d’Italie que de le juger par celui que la compagnie sarde en ce moment a Paris, a composé pour nous. Les auteurs qui règnent aujourd’hui sur la scène italienne ne sont point les classiques, Alfieri et Goldoni par exemple ; ce sont, à côté de quelques nationaux contemporains, nos vaudevillistes en renom, nos dramaturges les plus excentriques :

Hiacos intra muros peccatur et extra.

Nos hôtes ont sagement agi de laisser à Turin tout leur bagage de traductions, et de résister aux instances qui leur ont été faites pour jouer à Paris ici de nos drames où Mlle Rachel a laissé sa trace. Peut-être auraient-ils dû montrer la même circonspection à l’égard de certains vaudevilles italiens sans couplets, qui ne méritaient pas de figurer à côté des chefs-d’œuvre classiques ; mais enfin c’est à Alfieri, c’est à Goldoni, fort heureusement, qu’ils ont fait la meilleure part. Nous ne parlerons pas de Francesca da Rimini, où la compagnie sarde n’a obtenu qu’un succès d’estime, et qui n’est que le commentaire languissant et monotone de quinze vers admirables. Venons tout de suite à la Mirra et à l’Oreste d’Alfieri. Sans être un chef-d’œuvre, Mirra renferme de grandes beautés et commande l’attention, ne fût-ce que par les difficultés du sujet. En aimant Hippolyte, Phèdre n’offense que les lois sociales, Oedipe n’épouse Jocaste que parce qu’il ne la sait pas sa mère ; mais il y a-t-il une excuse pour cette fille impie qui brûle pour son père d’un horrible amour ? L’art du poète l’a pourtant rendue possible au théâtre, et par le remords qui la trouble, et par le mystère dont elle s’entoure, et surtout par cette vengeance de Vénus qui lui cite presque la responsabilité du crime. Si les trois premiers actes sont lents dans leur simplicité un peu nue, de quelles mâles beautés, de quel vif reflet de l’antique ne brillent pas les deux derniers ! Dans Oreste, Alfieri montre moins de sensibilité ; mais cette tragédie est une de ses meilleures au point de vue de l’effet théâtral, et nulle part on ne retrouve, quoique avec un peu de sécheresse, un sentiment plus sûr, une imitation plus fidèle du génie de l’antiquité. La compagnie sarde a bien fait de représenter ces deux ouvrages ; pourquoi, à