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ne respire, dès le seuil de ce séminaire, que l’insupportable odeur du pédantisme. Constance ne tarde pas à ressentir un profond ennui ; en dépit de ses efforts et de sa bonne volonté, elle ne peut s’intéresser à sa tâche. C’est là une œuvre catholique, elle le sent. — Il faut être catholique, dit-elle, pour s’y complaire et pour y réussir. Chaque fois qu’elle parvient à triompher de sa tiédeur, elle s’aperçoit que maintes pensées et maints sentimens catholiques viennent de se glisser dans son âme. Et cependant elle est protestante, elle ne saurait cesser d’être protestante. Etrange contradiction ! elle en conclut que l’église de Luther entreprend là une mission inutile et dangereuse, une mission qu’elle ne peut pas, qu’elle ne doit pas accomplir. Il parait qu’elle n’est pas seule à penser ainsi : une des compagnes de Constance, soeur Juliane, quitte le séminaire pour se marier. Le mariage de Constance est aussi le dénoûment obligé de cette histoire ; les obstacles qui s’opposaient à ses vœux ont disparu, et la jeune diaconesse s’éloigne de Friedenthal, appuyée au bras de son fiancé.

Quel est donc le dernier mot de M. Gutzkow ? L’indifférence et le scepticisme. Un romancier assurément n’est pas obligé d’avoir un système philosophique à lui et de prêcher une croyance, mais c’est une étrange idée de traiter des questions religieuses quand on n’a rien à dire. Ce livre est élégamment écrit ; il atteste, non pas un conteur très habile, mais un littérateur exercé, une plume ingénieuse et précise ; qu’importe tout cela ? Ces pages sont vides. La seule conclusion qu’on puisse tirer de ce singulier ouvrage, c’est un conseil d’immobilité. Toutes ces tentatives d’édification et de charité, excellentes sans doute, ne sont possibles, dit l’auteur, que dans le catholicisme. Si cela est, faut-il rentrer dans le sein de l’église romaine ? Non, répond-il, l’Allemagne protestante l’essaierait en vain. Que faire donc ? M. Gutzkow a oublié d’écrire le chapitre qui devait tirer le lecteur de cette incertitude, ou plutôt on voit trop bien que son but est de décourager la renaissance religieuse. Voilà, à coup sûr, une inspiration médiocre. Le livre est faible, je le sais, et ne fera pas grand mal à l’œuvre de M. Wichern ; M. Gutzkow est bien loin de l’époque où la confusion ardente de ses premiers romans révélait du moins une âme avide de vérité. Il obéit aujourd’hui aux conseils d’un scepticisme incolore, ce n’est pas le moyen de se faire écouter au milieu des préoccupations morales de l’Allemagne. Il faut prendre garde cependant de se lier trop tût à la victoire ; ce que. M. Gutzkow a fait dans des pages sans chaleur et sans vie, d’autres le feront bientôt avec violence. Romanciers et poètes relèveront plus fièrement le défi de M. Wichern, et l’auteur d’Eritis sicut Deus pourra bien provoquer de cruelles représailles.