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tient pas un autre langage. Quel remède infaillible, universel, souverain, voulaient-ils opposer à ce mal ? L’association, et justement dans les termes dont se sert l’économiste anglais. Qu’il l’ait cherché ou non, qu’il en ait ou n’en ait pas la conscience, ce rapprochement se présentera à beaucoup d’esprits. Au sujet du salaire et de l’association, M. Mill ne parle pas autrement que les socialistes.

Il faut le dire, le mot d’association a donné lieu dans ces derniers temps à beaucoup d’illusions et de malentendus. Rien de meilleur dans de certaines limites, rien de pire quand on veut en exagérer l’effet : c’est un instrument excellent dans un juste emploi, mais qui se brise dès qu’on lui demande un service forcé. Ainsi que de circonstances, dans le cercle de l’activité sociale, où l’effort individuel s’arrête et où commence l’effort collectif ! C’est là le véritable domaine de l’association. Associations de bienfaisance ou de prévoyance, associations scientifiques ou littéraires, associations agricoles, manufacturières ou commerciales, partout où le principe a pu s’appliquer d’une manière utile, les faits y ont répondu. Que cette association soit l’état lui-même ou une compagnie privée, peu importe : c’est toujours l’action commune qui se substitue à l’action isolée, en vue de grandes tâches ou de grands desseins qui exigent le concours d’un personnel considérable et de capitaux puissans. Voilà où l’esprit d’association peut s’exercer avec fruit, soit qu’il anime des spéculations financières, soit qu’il s’adapte aux plus humbles institutions charitables, changeant de mobile suivant l’emploi, et relevant tantôt du calcul, tantôt du dévouement, sans être pour cela ni moins fécond, ni moins efficace.

Mais cet esprit, ce principe d’association n’ont pas les vertus universelles qu’on s’est plu à leur attribuer : ils se refusent aux excès et trompent la main qui en abuse. C’est ce qui est arrivé lors des récens essais d’association entre ouvriers et entre patrons et ouvriers, essais auxquels M. John Stuart Mill présageait, sur la foi d’autorités prévenues, un si magnifique résultat. Il en a fait le roman ; en quelques mots, j’en rétablirai l’histoire. En y mieux réfléchissant, lui-même eût pu la deviner ; c’est le devoir d’un esprit exact que de subordonner les faits aux lois générales qui les gouvernent et de s’assurer qu’une chose est viable avant d’affirmer qu’elle vit. Ainsi posée, la question n’en est plus une pour l’économiste, car elle se dégage de tout appareil sentimental et se présente avec son véritable caractère, — une association d’intérêts dans la stricte acception du mot. Or c’est sous cet aspect que je vais l’envisager et que j’invite M. John Stuart Mill à l’envisager avec moi ; peut-être y perdra-t-il quelques-unes de ses illusions.

Dans la sphère des intérêts, aucune association n’est possible ou