Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/1297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’avait donc rien de très précis, et le pasteur à qui fut confiée son éducation religieuse avait contribué encore par une sévérité méthodiste à provoquer chez elle l’instinct d’une liberté naïve. Qu’importe ? le sentiment religieux était au fond de son cœur, et bien que non esprit ne fût pas façonné à des croyances nettement définies, il y avait un principe qui ne l’abandonnait en aucune, occasion ; elle avait la foi la plus vive dans la Providence, et elle se sentait vivre sous le regard de Dieu.

Quelle source d’émotions et d’enseignemens de toute sorte dans les souvenirs de la première enfance ! Poètes ou romanciers, tous les peintres de la nature humaine ont dit le charme merveilleux de ces impressions naïves, tous le diront encore, et le sujet ne s’épuisera pas. Elisabeth avait perdu sa mère à onze ans, et, quelques années après, son père mourait aussi, la laissant seule dans le monde, oui, seule dans le monde de la pensée et de l’âme, bien qu’il l’eût confiée à un oncle et à une tante qui la recueillirent sous leur toit. L’oncle était un homme vulgaire et la tante une prétentieuse coquette. Qu’y avait-il de commun entre cette délicate nature et les nouveaux mentors qui devaient diriger sa jeunesse ? Elisabeth s’enfermait pieusement dans ses souvenirs ; elle continuait seule l’éducation interrompue de sa pensée, elle se rappelait avec amour les saintes histoires bibliques que lui contait sa mère et ces conversations où son père l’initiait aux beautés de l’antique poésie. Les poètes allemands qu’elle associait naturellement aux anciens maîtres, Goethe, Schiller, Shakspeare aussi, — car Shakspeare est revendiqué par cette Allemagne qui l’a si bien glorifié, et la traduction de Wilhelm Schlegel et de Louis Tieck semble lui avoir marqué sa place parmi les écrivains nationaux, — Shakspeare donc, et Schiller, et Goethe, sans oublier les chanteurs plus récens, Rückert, Uhland, Justinus Kerner, étaient pour elle des précepteurs aimés auxquels elle confiait sans scrupule le développement de son Intelligence et de son cœur. Il n’y avait là, encore une fois, aucune prétention littéraire, aucune recherche de bel esprit ; c’était sa manière de rester fidèle aux impressions de son enfance, et quand une amie de ces jours regrettés venait la voir dans sa petite chambre, Elisabeth mêlait gracieusement aux souvenirs de son père et de sa mère les mille réflexions que lui suggéraient ses lectures.

C’est ainsi que nous la montre la première scène du récit. Quand elle a exposé à Léonore les tristesses de l’abandon moral où elle vit, elle lui parle de ses consolateurs ; elle ouvre un volume de Goethe, et lui fit ces strophes si pures, si expressives, véritables épanchemens d’une âme isolée demandant à la brise qui souffle, au nuage qui passe, aux étoiles qui scintillent, à toutes les harmonies d’une nuit d’été, l’apaisement de ses douleurs secrètes. Avec quelle sympathie