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société de philosophes, de lettrés et d’artistes dont il prétend nous dévoiler les mystères. C’est le panthéisme hégélien qu’il attaque, et son titre nous révèle d’avance l’inspiration qui le guide. Le titre, c’est cette phrase du serpent de la Bible que le Mephistophélès de Faust écrivait sur l’album de l’étudiant : » Vous serez semblables à Dieu, ayant la science du bien et du mal. » Eritis sicut Deus.

Nous sommes dans une petite ville d’Allemagne. Deux jeunes filles sont assises à la fenêtre d’une chambre toute fraîche et virginale éclairée par le soleil couchant. Elles ne brodent ni ne travaillent ; elles causent, et leur causerie semble se prolonger sans fin, tant elles ont de confidences à se faire et de rêveries à échanger. Le dialogue est charmant, et déjà le caractère des deux jeunes filles s’y dessine en traits expressifs. Elisabeth, avec ses beaux yeux bleus si profonds, est une nature douce et expansive, une âme pleine de tendresse et d’enthousiasme. Léonore est plus calme, plus réservée, plus timide ; mais c’est Elisabeth surtout qui nous intéresse, c’est elle qui sera l’héroïne de cette histoire. En la peignant avec tant de charme dès les premières scènes du tableau, l’auteur nous avertit qu’elle sera l’objet de l’étude impitoyable qu’il prépare. J’ai dit qu’elle était enthousiaste, mais avec quelle grâce, avec quelle douceur toute féminine ! Elle aime les poètes, elle lit Shakspeare et Goethe avec passion ; ne croyez pas pour cela qu’elle appartienne à la race insipide des pédantes. Elisabeth tiendrait fort mal sa place dans les cercles prétentieux inaugurés à Berlin par Frédéric Schlegel, et auxquels Mme Fanny Lewald consacre de si complaisantes peintures. Le père d’Elisabeth était un digne professeur de philologie, grave, savant, exact, un de ces érudits de la vieille roche qui savaient associer le culte naïf de l’antiquité grecque avec toutes les vertus d’un christianisme pratique et les traditions, un peu compromises aujourd’hui, de la loyauté allemande. Sa mère était pieuse, simple, et nourrie de la lecture de la Bible ; encore une figure d’autrefois, ou du moins qui ne reparaît guère dans les tableaux de la société présente. Le père avait cultivé avec soin l’esprit de sa fille ; mais tout dévoué qu’il fût à ses chers poètes de l’Attique, il n’avait jamais permis à Elisabeth de confondre dans une même admiration les merveilles de l’art profane et la sainteté des traditions chrétiennes ; au-dessus d’Homère et de Sophocle, au-dessus de l’aimable simplicité du monde naissant, qu’il prenait plaisir à dérouler aux yeux de sa fille, il lui montrait toujours dans une lumière céleste l’incomparable splendeur de l’Évangile. C’était la mère surtout qui avait la charge de cette jeune âme ; or, plus candide et plus dévouée que savante, elle avait développé dans l’aine de l’enfant un très vif sentiment des choses pieuses plutôt que le goût des vérités positives. Le christianisme d’Elisabeth