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garde encore dans une étreinte amoureuse la pudeur qui double la beauté. Pour moi, ce dernier groupe est le plus bel ouvrage de l’auteur. Pâris se préparant à juger les trois déesses est assurément un modèle d’élégance, mais ne saurait se comparer au groupe de Psyché amoureuse. Outre les statues de Birger Jarl, de Gustave-Adolphe et de Charles XII, on peut louer à bon droit les statues de Charles XIII et de Charles-Jean XIV ; mais dans ces œuvres si puissantes et si vraies, le talent se trouve aux prises avec des obstacles sans nombre ; il a beau les surmonter, il ne les supprime pas. Dans la statuaire et dans la peinture, rien ne vaut la forme nue, ou le lin qui couvre la forme sans la cacher. C’est pourquoi je comprends très bien que Fogelberg, après avoir accompli la tâche qui lui était imposée par la reconnaissance, après avoir enrichi son pays de héros scandinaves et de portraits historiques, soit revenu à son point de départ, car s’il aimait la gloire, il aimait avant tout la beauté pure, la beauté sans voile, et les fables grecques offraient à son ciseau des sujets plus heureux que l’histoire de la Suède. Toutefois il a eu raison de ne pas se confiner dans les traditions païennes et d’entrer dans le domaine de l’histoire. Sans les statues de Gustave-Adolphe et de Birger Jarl, il est douteux que son nom fût jamais devenu aussi populaire dans son pays, et c’est à la faveur de cette popularité si légitime, si laborieusement conquise, qu’il a pu réformer le goût des artistes et du public suédois.

Fogelberg est mort au mois de décembre dernier, emporté par une attaque d’apoplexie foudroyante. Quand sa vie s’est éteinte à Trieste, il se disposait à retourner dans son Italie bien-aimée. Appelé en Suède par un ordre souverain, il avait recueilli sous la forme la plus éclatante la récompense de ses travaux. Au son des fanfares, au bruit du canon, au milieu des chants patriotiques entonnés par des milliers de voix, il avait vu découvrir devant une foule étonnée les créations savantes qui assurent la durée de son nom. La Suède saluait en lui un de ses plus glorieux enfans. À peine les fêtes données en son honneur étaient-elles achevées, qu’il se dérobait à son triomphe, car il rêvait déjà de nouveaux travaux, et l’éclat même de la récompense qu’il venait de recevoir, loin de lui conseiller le repos, suscitait en lui des pensées plus hardies. Sa mort n’a pas été moins heureuse que sa vie, ses derniers jours ont été des jours de joie et d’orgueil. À peine a-t-il eu le temps d’adresser des regrets à ses œuvres ébauchées.

Populaire en Suède, justement admiré en Italie, Fogelberg mérite et obtiendra sans doute une renommée européenne. Ses amis se proposent de faire graver la série complète de ses œuvres. Une telle publication