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Quant à l’encens et aux gâteaux, il n’y a rien à dire : la flamme dévore tout, et le dieu reçoit tout, mais des animaux immolés que leur laissent-ils, sinon le rein, le fiel et des os indigestibles, tandis qu’ils dévorent eux-mêmes tout le reste ? »

Le sacrifice, cet acte fondamental des religions, image du sacrifice de soi-même à la loi, était en effet depuis longtemps menacé d’une réforme radicale, parce qu’il n’était plus qu’une cérémonie sans signification et sans piété véritable. Les prophètes juifs s’étaient fréquemment élevés contre la vertu superstitieuse qu’on lui attribuait, lorsqu’on le séparait, du devoir moral qu’il aurait dû exciter et non remplacer. C’est à ce sujet que les pères de l’église s’autorisaient de Ménandre comme ayant connu ces vérités. Saint Clément d’Alexandrie rapporte les passages des prophètes, qu’il compare à ceux du poète comique ; ainsi ce passage d’Isaïe : « Lavez-vous, purifiez-vous, effacez vos péchés ; je suis un Dieu qui est proche, et non un Dieu qui reste au loin ; » et ces paroles de Jérémie : « L’homme agira-t-il dans les ténèbres, et ne le verrai-je point ? Sacrifiez un sacrifice de justice, et espérez dans le Seigneur. » — Ménandre le comique, dit à ce propos saint Clément, a écrit dans les mêmes termes : « Si quelqu’un, ô Pamphile, en amenant pour les sacrifices des taureaux, des chevreaux ou d’autres animaux semblables, ou en décorant les temples de tissus d’or ou de pourpre, ou de petites images d’ivoire ou d’émeraude, croit se rendre Dieu propice, il se trompe, et ses pensées sont vaines. Cet homme doit avoir avant tout des mœurs pures, ne point corrompre les femmes ni les filles, ne voler ni ne tuer pour s’enrichir. Ne convoite pas même une aiguillée de fil, car Dieu, ô Pamphile, est près de toi et te regarde. » — « Ne convoite, mon ami, pas même une aiguillée de fil appartenant à autrui, dit encore Ménandre cité par saint Clément, car Dieu se plaît aux actions justes et non à l’injustice ; il permet que ceux-là augmentent leur fortune qui travaillent et cultivent leur champ nuit et jour. Sacrifie toujours à Dieu par une vie juste, et sois moins brillant par tes habits que par ton cœur… Ne fuis pas parce qu’il tonne, si ta conscience ne te reproche rien, car Dieu est près de toi et te regarde. » Que ces morceaux fussent authentiques ou non, peu nous importe ici ; mais s’ils ont été fabriqués pour être mis sous le nom de Ménandre, si des hommes érudits comme saint Clément s’y sont trompés, si l’erreur a été adoptée dans cette savante Alexandrie, où la plupart des pièces de Ménandre étaient si connues, ainsi que dans l’Italie et la Grèce même, où elles furent longtemps représentées, et où elles entraient généralement dans l’éducation littéraire, n’en faut-il pas conclure que ces idées étaient au moins conformes à son esprit et en harmonie avec ce qu’il disait ailleurs ?