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d’Euripide, la seule pièce de ce genre qui nous soit restée. Ulysse, qui y figure, y conserve seul le génie élevé que lui a donné Homère, et « malgré la contagion de tant de bouffonnerie, dit M. Patin, il ne cesse pas, cela est remarquable, de parler en héros tragique. »

Il importe peu de savoir si l’ancienne comédie fut ou non d’abord une imitation ou un développement du drame satyrique ; ce qui est clair, c’est qu’elle s’inspira du même esprit. Epicharme, qui en fut peut-être le premier créateur, emprunta tous ses sujets à la mythologie. Se débarrassant des petits satyres trop naïfs, et qu’on ne pouvait sans doute pas trop maltraiter à cause de leur gentillesse, il trouva une manière plus caustique de jouer les dieux en exagérant les figures doucement moqueuses d’Homère et en tirant de l’Olympe une série de caricatures bourgeoises. Cela équivalait à nier les dieux mythologiques ou à les absorber dans le sein de la nature, et cette conclusion n’avait pas échappé à l’attention publique. « Epicharme, dit un personnage de Ménandre, prétend que les dieux ne sont que le vent, l’eau, la terre, le soleil, le feu, les astres ; moi, j’ai toujours soupçonné que les vrais bons dieux pour nous sont l’or et l’argent. Dès qu’une fois tu auras installé ceux-là dans ta maison, demande tout ce que tu voudras : tu obtiendras tout, propriétés aux champs, biens à la ville, domestiques, argenterie, de bons amis, des juges partiaux, des témoins prêts à jurer pour loi. Paie seulement, et les dieux mêmes se mettront à ton service. » Tel était déjà l’effet de la comédie, tels étaient ses inconvéniens ; mais quoi ! les voies de l’esprit humain sont escarpées et pleines de précipices, et cependant il faut marcher. La comédie n’était, dès sa naissance, qu’une des voix qui parlaient au peuple ; Empédocle, contemporain d’Epicharme, disait les mêmes choses par la philosophie, expliquait les dieux par la nature, faisait de Junon la terre, de Pluton l’air, et ainsi de suite : ébauches de systèmes dont il ne devait rien rester, mais qui fondaient la méthode scientifique, et commençaient du moins par balayer l’obstacle de la mythologie, qui obstruait tous les chemins.

L’ancienne comédie suivit longtemps les traces d’Épicharme, et quoique, par la suite, l’homme, qui n’y figurait d’abord que d’une manière accessoire, y prit une place de plus en plus grande, néanmoins la mythologie y dominait le plus souvent. Il n’y a pas une pièce d’Aristophane où la critique religieuse ne soit pour quelque chose. Même dans celles dont le sujet est purement politique, il y a des traits, des plaisanteries, des scènes entières qui s’attaquent aux dieux. Les oracles, si puissans encore, y sont traités de fourberies à l’usage des intrigans ; le poète en fabrique de sa façon ; il en parodie l’obscurité solennelle et l’ambiguïté adroite ; il les met au service de ce qu’il y a de plus vil et de plus ignare dans le peuple. Mercure,