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le reste étant livré à l’arbitraire des légendes et des poésies. Ainsi, dans cette catégorie véritablement religieuse et respectée, nous voyons en première ligne les représentations des mystères qui se rattachaient à des doctrines morales très élevées. Jupiter, lorsqu’il pèse les destinées des hommes ou fait trembler le monde par le froncement de ses sourcils, n’est déjà plus qu’un symbole sublime de la providence et de la toute-puissance divines. Il y a même des types de divinités qui ont été conçus tellement purs, et en si belle harmonie avec les vérités morales les plus profondes, qu’ils ne prêtent à la critique d’aucun côté, et qu’on ne les attaquera jamais. Telle est Minerve, la vierge divine, sagesse, force, inspiration, virginité, image de la vie spirituelle dégagée de l’instinct animal, et supérieure à la matière, sortie tout armée de la pensée du dieu suprême ; conception admirable dans tous ses détails, et dont Fénelon a fait pour ainsi dire une divinité chrétienne sans avoir rien à y changer. Toujours chaste, Minerve idéalisait cette vertu première du foyer domestique, dont les peuples anciens, même les plus corrompus, ne cessèrent jamais de consacrer les images, et dont les Romains avaient fait une institution sacerdotale. Elle était ainsi, dans son Parthénon, la personnification du principe le plus pur de l’éducation et de la famille, en même temps que de la souveraineté de l’esprit sur les appétits sensuels. Ajoutez à ces mythes principaux certaines légendes, des histoires miraculeuses, dont l’origine est ignorée, mais qui, favorisant la pratique de certaines vertus, étaient admises comme croyances pieuses. D’après Homère par exemple, les dieux prennent quelquefois les figures de pauvres ou d’exilés qui vont demander l’hospitalité aux hommes, pour mettre leur charité à l’épreuve et faire de grands exemples. C’étaient ces choses-là qui étaient constamment enseignées avec vénération ; ce sont les mythes de cette nature, et tous ceux qui peuvent être ramenés à des significations analogues, qui sont le fonds sérieux, et en un certain sens dogmatique, de la religion des anciens. Quiconque a lu et senti Homère n’en saurait douter. C’est à ce point de vue que les poètes, les historiens, les orateurs surtout, qui avaient besoin de parler au sentiment populaire, sont profondément religieux. Pourquoi ? Parce qu’au fond de tout cela il y a les vérités sociales, universelles, et qu’à travers les symboles, les récits, les embellissemens de l’hymne, on y sent un appui solide, un substratum posé dans la profondeur de la foi humaine. C’est aussi par ce côté que l’on attaque les philosophes. Si Eschyle est accusé, ce n’est pas à cause des invectives de Prométhée contre Jupiter, c’est pour avoir, en divulguant les mystères, remué la base cachée de l’autorité religieuse. Si Euripide a lieu de craindre, ce n’est pas pour avoir altéré et confondu les légendes, mais parce qu’il