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de l’épopée ou du drame tragique ; mais, comme image de la vie contemporaine et comme révélation sur ces causes morales qui sont tout parce qu’elles sont partout et agissent sans cesse, la comédie devra peut-être prendre le pas sur les autres genres littéraires, ou tout au moins sur les autres genres poétiques. L’épopée et la tragédie, par leur supériorité même, dominent l’époque qui les voit naître plutôt qu’elles n’en sont dominées ; quoiqu’elles soient en une certaine harmonie avec l’esprit du temps, qui sans cela ne les accepterait pas, néanmoins, par leur nature religieuse ou nationale, elles empruntent plus volontiers au passé et à la tradition qu’à l’esprit des contemporains. La comédie au contraire est commandée par les réalités du temps présent, elle emprunte tout à la société ; le poète met son auditoire même sur la scène, et, soit qu’il attaque, comme Aristophane, les choses générales de la religion et de la politique, soit que, comme Ménandre, il copie les détails caractéristiques de la vie civile et fixe les idées courantes du monde qui l’entoure, il fait le journal même de son époque et nous transmet ce qu’elle contient de plus universel et de plus instructif, — l’esprit et les mœurs communes montrées sous tous leurs aspects, fit si l’on peut, comme chez les Grecs, suivre le progrès de l’art comique parallèlement à celui de la société même ; si on le voit, pendant toute la durée d’une nation, réfléchir l’esprit des changemens et des révolutions qu’elle subit. On ne pourra s’empêcher d’admettre qu’il est, par ses produits, un élément historique indispensable à étudier, non-seulement pour la peinture exacte d’une époque donnée, mais aussi pour l’explication plus générale de la destinée que cette nation a remplie dans le monde.

Les anciens ne pouvaient eux-mêmes expliquer à ce point de vue les innombrables productions de l’esprit qui naissaient autour d’eux, précisément parce qu’ils en étaient les contemporains. Aussi longtemps qu’une société vit, elle ne peut se juger elle-même, elle ne peut rendre compte ni du but final de ses travaux, ni de leurs résultats définitifs, ni même de l’impulsion providentielle qui dès l’origine les a dirigés dans une certaine voie. Comme nous donc, les anciens marchaient emportés par un courant de vie mystérieuse dont ils ne pouvaient reconnaître ni l’étendue, ni la direction, et encore moins le point d’arrivée ; ils allaient en tâtonnant dans une douteuse lumière, voyant à peine, du côté de l’avenir, ce qu’ils touchaient déjà et se heurtant sans cesse d’un excès à un excès contraire, mais en définitive restant toujours dans le même chemin, comme nous le voyons si bien aujourd’hui quand nous contemplons l’admirable unité de mouvement qui faisait tendre à une fin principale toutes les forces de leur intelligence. Sans doute quelques-uns, doués d’un génie éminent, les yeux tournés vers le passé, cherchaient à le comprendre