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Mothe demande le gouvernement de Bellegarde ; M. le duc de Beaufort demande la charge de grand-amiral. »

Qu’on s’étonne après cela que la vieille gaieté gauloise ait retrouvé dans le Courrier burlesque certaines inspirations de la Ménippée, et qu’un mouvement commencé pour la réforme de griefs légitimes ait fini par le gros rire de la foule et par une soumission absolue au seul pouvoir qui n’eût point encore étalé son impuissance ou sa honte ! Mazarin se tint pour vainqueur du moment qu’il sut à quel prix il pouvait acheter la victoire. Si exorbitantes que fussent des prétentions personnelles, il les accueillait toujours sans étonnement, avec une sorte de complaisance. Conformément à la maxime de l’un de ses plus illustres adversaires, il promettait selon ses espérances, en ne tenant jamais que dans la mesure de ses craintes[1]. Enfin, lorsque ces prétentions se produisaient sous une forme collective et comminatoire, il appliquait la méthode de Louis XI, qui consistait à dissoudre toutes les ligues en traitant à part avec chacun des associés. Ceci lui réussit dans cette circonstance comme dans toutes les autres.

Cependant le jour des grandes épreuves était arrivé pour le cardinal, car la fronde allait devenir un duel non moins terrible que honteux entre le premier prince du sang et le premier ministre de la couronne. Condé avait ramené la cour dans Paris, et ne ménageait à Mazarin, qu’il consentait encore à protéger de son épée contre les antipathies populaires, ni les menaces, ni les dédains, ni surtout les exigences. Un retard à l’accomplissement de ses volontés lui paraissait audacieux, une résistance lui aurait semblé criminelle. Ses serviteurs rançonnaient le ministre sous le couvert de son nom, et l’insolence des importuns de M. de Beaufort était dépassée par celle des petits-maîtres de M. le Prince. Chez celui-ci, les défauts germaient sur les qualités, comme des rameaux qui détournaient en l’épuisant la sève d’un tronc héroïque. Profondément dévoué à la royauté, professant jusqu’au sein de l’insurrection le plus outrecuidant mépris pour les résistances légales et les prétentions bourgeoises, Condé était pourtant le moins respectueux des princes, le plus indocile des sujets. Avec les idées d’un cavalier, il avait les allures d’une tête-ronde : contradictions déplorables, qui imposèrent durant dix années au vainqueur de l’Espagne la destinée d’un Coriolan, et armèrent contre le trône et contre la France le prince le plus français et le plus monarchique qui soit peut-être jamais sorti de la royale maison de Bourbon.

Mais si Condé était un auxiliaire fort incommode, l’immense clientèle

  1. La Rochefoucauld, Pensées et Maximes.