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voulaient prendre l’offensive, ou bien lorsqu’ils s’emparaient des caisses du gouvernement royal pour augmenter leurs ressources en affaiblissant celles de l’ennemi, encore que l’état de guerre rendît ces actes parfaitement licites, le parlement ne manquait pas de s’émouvoir. Il s’indignait des attentats commis par ses propres officiers contre les soldats et les deniers de sa majesté ; il protestait de sa fidélité inviolable, et n’aurait pas été éloigné de verbaliser contre lui-même.

Le cardinal de Retz a crayonné, dans quelques-unes de ses meilleures pages, la physionomie d’une séance dans laquelle ordre fut donné à tous les échevins, sous peine de haute trahison envers le roi, d’interdire aux troupes de son ministre l’entrée des villes du royaume, et à tous les citoyens de lui courir sus, en refusant asile et retraite à ses parens, alliés et domestiques. Après cette peinture animée et pittoresque, l’auteur poursuit ainsi : « Vous croyez que le cardinal est foudroyé par le parlement, en voyant que les gens de loi même enflamment les exhalaisons qui produisent un aussi grand tonnerre ? Nullement. Au même instant que l’on donnait cet arrêt avec une chaleur qui allait jusqu’à la fureur, un conseiller ayant dit que les gens de guerre qui s’assemblaient pour le service de Mazarin se moqueraient de toutes les défenses du parlement, si elles ne leur étaient signifiées par des huissiers qui eussent de bons mousquets et de bonnes piques, ce conseiller, qui ne parlait pas de trop mauvais sens, fut repoussé par un soulèvement général de toutes les voix, comme s’il eût avancé la plus sotte et la plus impertinente chose du monde. Et toute la compagnie s’écria, même avec véhémence, que le licenciement des gens de guerre n’appartenait qu’à sa majesté… Accordez, s’il est possible, cette tendresse de cœur pour l’autorité du roi avec l’arrêt qui au même moment défend à toutes les villes de donner passage à celui que cette même autorité veut rétablir. Il y a là des faits si opposés les uns aux autres, qu’ils en sont incroyables ; mais l’expérience nous fait connaître que tout ce qui est incroyable n’est pas faux[1]. »

Ces contradictions de la conscience et de la probité demeurent respectables, lors même qu’elles aboutissent au ridicule. Toutefois, en présence de tant de scènes où l’hésitation engendra l’impuissance, comment ne pas confesser que l’institution la plus fatale à l’organisation constitutionnelle de la France a été celle de ses parlemens, qui masquèrent tous les progrès du despotisme sous la vaine solennité de leurs formes, et perdirent la cause de la liberté politique en subordonnant le succès à celui de leurs propres prétentions ? Il en

  1. Mémoires de Retz, livre IV.