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nation au même titre que les états-généraux, dont il abhorrait le souvenir sans parvenir à l’étouffer ; il aurait fallu ensuite qu’il ne reculât pas devant les redoutables questions de souveraineté que l’Angleterre posait alors, et que la France allait aborder un siècle plus tard. Or rien ne ressemblait moins aux constituais de 1789 que les parlementaires de 1650.

Ces hommes-là différaient de toute la distance qui sépare l’esprit traditionnel de l’esprit rationaliste : pendant que les uns étaient insolens parfois jusque dans l’obéissance, les autres étaient respectueux jusque dans la rébellion. Lorsque, dans la terrible journée où Mathieu Molé déploya les plus hautes qualités qui aient jamais honoré la nature humaine, l’avocat Deboisle, au centre d’un groupe de démagogues armés, se fut écrié, pour violenter les délibérations de la cour, que « le peuple seul faisait les rois, lesquels faisaient les parlemens, » il se manifesta jusque sur les bancs les plus ardens des enquêtes un sentiment d’étonnement et d’indignation qui s’adressait moins à l’audace de l’attentat qu’à l’audace même de la pensée. Trop de soucis troublaient la conscience des magistrats, lorsqu’ils luttaient contre l’autorité royale, pour que le résultat final d’un pareil conflit ne fût pas deviné par la sagacité de Mazarin. Cette situation fausse, qui interdisait aux cours de justice de devenir le centre d’une résistance politique au pouvoir absolu, se développa avec la crise elle-même. Au début, le parlement de Paris, assisté par ceux de Normandie, de Guienne et de Provence, s’était senti très fort pour résister à l’enregistrement des mesures fiscales et pour réclamer la mise en liberté de ses membres arbitrairement détenus, car c’était un double droit auquel il avait toujours prétendu. Lorsque plus tard il se fut trouvé engagé dans une résistance armée, il fit des efforts inouïs pour maintenir un caractère purement conservatoire de son propre droit aux mesures les plus manifestement agressives. S’il réclama l’éloignement de Mazarin des conseils de la régente, ce fut en invoquant les dispositions d’un arrêt rendu en 1617 contre les ministres étrangers, à l’occasion du maréchal d’Ancre. S’il alla plus tard jusqu’à l’odieuse extrémité de provoquer les citoyens à l’assassinat d’un prince de l’église, premier ministre de sa souveraine, et s’il s’engagea solennellement à en payer le prix, ce fut parce que le cardinal, en conservant le pouvoir malgré les arrêts rendus contre lui, avait méconnu l’autorité de la chose jugée, et s’était ainsi constitué, d’après l’étrange doctrine du parlement, en rébellion contre le roi. On demeurait en paix avec soi-même tant qu’on ne donnait d’arrêts que pour organiser sa propre défense. Quand l’armée parlementaire était attaquée par celle de la cour, messieurs trouvaient légitime que leurs soldats ripostassent ; mais lorsque les généraux de l’insurrection