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d’obtenir de l’argent pour défrayer la guerre, et que les magistrats, chefs naturels de la bourgeoisie, n’avaient de leur côté d’autre pensée que de repousser les mesures destinées à atteindre celle-ci. Dès 1645, une tentative avait été faite par les membres des compagnies souveraines pour s’assembler et délibérer en commun sur les moyens de réformer l’état. Ce premier essai d’ingérence dans la politique générale du royaume avait échoué contre l’indomptable fermeté de Mathieu Molé ; mais il avait été suivi de l’arrestation de quatre magistrats, et deux d’entre ceux-ci étant accidentellement morts en prison, la crédulité publique avait accueilli les plus sinistres rumeurs avec cette facilité — indice infaillible de perturbations prochaines.


II

Les embarras financiers créés par sa politique extérieure contraignaient donc Mazarin à dévier de plus en plus de la ligne de conduite qu’il s’était proposé de suivre. Sa nature obséquieuse répugnait à la violence, et la violence lui devenait nécessaire. Lorsqu’il aurait voulu tout obtenir à l’aide de pratiques exercées sur les personnes, il se voyait engagé dans une lutte contre un grand corps, et conduit à gouverner à coups de lits de justice et d’emprisonnemens arbitraires. Chaque nuit les magistrats qui s’étaient fait remarquer la veille par leur résistance à que la nouvelle invention fiscale tremblaient de se voir enlevés de leur domicile, chaque jour le jeune roi traversait les rues de sa capitale pour se rendre au sein du parlement, qui ne subissait pas les injonctions de la couronne sans en appeler au peuple de l’impuissance de ses efforts et de ce révoltant abus de l’autorité royale. Alors la population, s’attroupant dans les rues, s’entretenait du spectacle étrange donné par un enfant, par une femme et par un cardinal italien ; elle s’indignait du mépris déversé par la cour sur le seul corps qui eût conservé quelque courage et quelque force pour la défendre ; puis interprétant, comme il arrive d’ordinaire, les choses les plus simples dans le sens de ses passions surexcitées, elle remarquait que « quoique plusieurs fois le jeune roi eût porté un pourpoint et des chausses, et qu’il eût déjà monté à cheval, on lui mettait pour aller au parlement une robe d’enfant, aucuns disant que l’on voulait témoigner qu’encore qu’il fut à la bavette, il pouvait faire cette action. »

Cependant Mazarin était de plus en plus dominé par les événemens. Placé dans l’alternative ou de ne pas payer les armées ou de prendre de l’argent dans toutes les poches, ne trouvant plus, au milieu d’embarras parfaitement connus à Madrid, aucune facilité pour