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du royaume, par la perte de son unité au dedans et de son influence au dehors, par l’épuisement des ressources publiques et la misère des particuliers, sans qu’il soit sorti de ce long désordre une seule idée féconde pour la réparation des abus[1]. » La vérité est entre ces deux points de vue-là. Se placer au premier, c’est s’exposer à grandir des hommes très inférieurs à leur rôle ; adopter le second, c’est rapetisser le drame à la taille des acteurs et ne voir qu’un effet, sans cause dans une révolution qui avorta, non parce qu’elle était sans objet, mais parce que ses auteurs n’étaient capables que d’une intrigue.

Les princes et les seigneurs que la fronde mit en scène, les grandes dames qui s’en amusèrent comme d’un intermède entre leurs amours, n’étaient point appelés à doter la France du bien qu’elle continue de poursuivre comme un mirage éternel. Cette aristocratie guerrière, qui répugnait à l’obéissance sans avoir le goût de la liberté, et qui dans ses fréquentes révoltes rechercha toujours plus volontiers le secours de l’étranger que celui du peuple, n’avait été à aucun moment de son histoire tentée par le rôle des barons de Jean Sans-Terre : si elle combattit souvent la royauté absolue, ce ne fut jamais avec la pensée de lui imposer des limites et de prendre dans ses conseils une importance analogue à celle qu’elle avait dans ses armées. Ses pries avaient tiré de tels profils des guerres civiles dans lesquelles le Béarnais avait acheté son royaume tout autant qu’il l’avait conquis, elle conservait elle-même un si cher souvenir des trésors partagés durant les troubles de la régence précédente, qu’en s’engageant dans la lutte entamée par les parlemens contre le cardinal Mazarin, elle fît très bon marché de toutes les questions politiques, ne se préoccupant que de celles qui affectaient ses intérêts personnels. La fronde est de toutes nos guerres civiles celle dans laquelle la pompe des mots a le plus contrasté avec l’humilité des choses ; en se regardant, les pourfendeurs d’abus étaient exposés au péril des augures. Pendant que les bourgeois de Paris s’inquiétaient de Cromwell, de Masaniello ou de Gennaro Annese, et qu’ils ranimaient pour un jour leurs passions politiques au grand souvenir de la ligue, la fronde représentait pour le prince de Condé deux ou trois gouvernemens à joindre à ceux de sa maison, pour le duc de Beaufort la récompense de l’amirauté, pour le duc de Bouillon la récompense de Sedan, pour le duc d’EIbeuf de l’argent, pour le coadjuteur le chapeau, pour Mme de Chevreuse le ministère de son ancien amant Châteauneuf et le mariage de sa fille avec le prince de Conti ; c’était aussi

  1. M. À Bazin, Histoire de France sous Louis XIII et sous l’administration du cardinal Mazarin ; tome IV, chap. 4.