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la reine finit par s’écrier tout en larmes qu’elle ne signerait pas, qu’elle ne voulait pas manquer à ses engagemens. « J’aime mieux abdiquer, dit-elle : je prouverai ainsi au besoin qu’une reine sait faire des sacrifices pour sa foi, et j’espère de cette manière réparer les fautes que j’ai pu commettre. » La reine signa cependant. On lui dit qu’elle serait toujours libre de ne pas sanctionner la loi, et que d’ici là d’ailleurs les négociations engagées avec Rome auraient sans doute un résultat favorable. C’est donc ainsi que se présentait la question, lorsque le ministère allait à Aranjuez soumettre la loi de désamortissement à la sanction royale. Qu’on ait exagéré dans les termes ce qui a eu lieu entre le duc de la Victoire, O’Donnell et la reine, le fond ne reste pas moins exact. Il n’est pas moins vrai que les deux ministres ont fait pressentir à Isabelle toutes les conséquences d’un refus, et qu’au même instant, à Madrid, quelques députés se réunissaient dans un bureau du congrès pour proposer la déchéance de la reine si la loi n’était pas sanctionnée. Il y a plus : avant de prendre une résolution, la reine a voulu savoir où en étaient les négociations avec Rome ; on ne le lui a point dit. Elle a demandé s’il n’y avait pas une protestation du saint-siège. Cette protestation venait, à ce qu’on assure, d’être déposée entre les mains du ministre d’état ; on lui en a laissé ignorer l’existence, ou du moins on parait avoir éludé de répondre catégoriquement à ce sujet. Depuis cependant de meilleurs rapports semblent s’être rétablis entre la reine et le général O’Donnell. Ce serait trop sans doute d’expliquer la situation de l’Espagne uniquement par cet épisode, qui a pu un moment devenir tragique : il l’éclaire, il la met à nu ; il marque le point où la révolution a conduit la Péninsule.

Maintenant sans doute, une réaction se produira en Espagne ; elle naîtra dès incohérences et des excès d’une situation impossible, à laquelle ni gouvernement ni cortès n’ont su donner des chances de durée ; mais quel en sera le caractère, et comment s’accomplira-t-elle ? Il y a quelques mois, le général O’Donnell pouvait représenter une réaction naissant de l’ordre nouveau créé par la révolution de juillet. On comptait presque sur lui, on y compte peut-être encore. Par malheur, depuis quelque temps il s’est terriblement engagé, et s’est lié au parti révolutionnaire par de périlleuses solidarités. De tout ce mouvement qui se poursuit depuis un an, il n’est point sorti une force modératrice ; il ne s’est produit ni une idée nouvelle ni un bomme nouveau. Si la réaction est difficile dans les conditions du régime actuel, viendra-t-elle d’une sorte de renaissance du parti conservateur ? Le parti modéré espagnol se trouve aujourd’hui, il faut bien le dire, étrangement décomposé ; il compte à peine quelques membres dans le congrès de Madrid, et ces membres se querellent