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des cultes différens se sont institués, la liberté devienne la garantie de l’indépendance mutuelle des consciences et de la paix publique, rien n’est plus simple ; mais s’il est une nation ancrée dans sa foi entière et absolue dans ses croyances, c’est assurément l’Espagne. Le catholicisme est resté la règle des âmes ; il est dans la nature de ce peuple, dans ses idées, dans son organisation morale et intellectuelle. L’Espagnol ne passe point à un culte dissident ; il est catholique ou il n’est rien, et dans ce dernier cas la liberté des cultes lui est très inutile. Au sein même des classes cultivées, où la fidélité aux pratiques de la religion a pu recevoir quelque atteinte, la croyance reste dans l’esprit, vous n’apercevrez point la trace la plus imperceptible d’un mouvement religieux ou philosophique indépendant du catholicisme. Rien n’est plus instructif que les discussions récentes du congrès de Madrid sur cette question. Ce ne sont pas des conservateurs seulement qui ont défendu l’unité religieuse de la Péninsule, ce sont aussi les progressistes les plus décidés. Les membres de la commission de constitution ne laissaient point d’être dans l’embarras, et le sens de leurs discours peut se résumer en ceci : — « La liberté de conscience ! oui sans doute, c’est un principe admirable ; il n’y a qu’un malheur : si nous la proclamions, ce serait le signal d’une explosion universelle où disparaîtrait infailliblement la révolution. » — Après quoi on a pris un terme moyen qui consiste à inscrire dans la constitution ce qu’on pourrait appeler une liberté par réticence, la tolérance du culte intérieur. Qu’on y songe bien, le catholicisme au-delà des Pyrénées fait partie, pour ainsi dire, du sentiment national, et aux yeux du peuple espagnol toute atteinte portée à l’unité religieuse est une arme mise entre des mains étrangères. On l’a vu il y a peu de temps. Quelques protestans anglais s’étaient réunis à Séville pour célébrer leurs offices sous la garantie de l’article constitutionnel récemment voté. Le gouverneur civil a dû interdire ces réunions dans un intérêt d’ordre public ; le ministre d’Angleterre à Madrid a réclamé auprès du gouvernement, il a cru pouvoir porter ses griefs dans la presse ; il n’a réussi qu’à éveiller les susceptibilités et les méfiances contre lui, et en définitive lord Howden a été conduit à prendre son congé. Que la liberté absolue des cultes soit la loi de l’Espagne, — des incidens semblables peuvent se renouveler sans cesse, irriter le sentiment national autant que le sentiment religieux, et jeter la Péninsule dans des crises permanentes de nature à la mettre en guerre avec elle-même et avec les autres pays.

On peut déduire de ces faits le caractère réel de la révolution au-delà des Pyrénées : elle ne touche point aux conditions intimes et profondes de la société espagnole ; dans ses dogmes principaux, elle n’a rien de vrai, de spontané et de réellement populaire. Il en résulte