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exercée par le duc de la Victoire, c’est-à-dire le renouvellement d’une minorité orageuse et livrée à toutes les dissensions.

Remarquez bien le côté faible de toutes ces combinaisons, — république, empire ibérique ou régence : ce sont des projets conçus dans un emportement d’opposition ou d’ambition, reposant sur les données les plus chimériques, propagés et proposés clandestinement. Quand la révolution éclate, comme pour leur donner un corps, toutes ces ombres s’évanouissent. La question de l’existence de la monarchie et de la dynastie est tranchée souverainement par le sentiment populaire, ou plutôt elle n’existe pas pour lui. On put le voir en juillet dans un détail frivole en apparence. Aux premiers jours de l’insurrection, sur ces barricades dont Madrid se hérissait, le portrait de la reine était assez éclipsé par ceux d’Espartero et des autres généraux ; insensiblement il reprenait sa place, et la main du peuple le remettait au premier rang. Le parti révolutionnaire a mis une espèce de fatuité, pendant quelques mois, à paraître tenir la monarchie dans ses mains : matériellement il pouvait tout en effet, cela est certain ; moralement il ne pouvait rien, et quand les cortès votaient à une quasi unanimité, le 28 novembre, le maintien de la monarchie, elles ne faisaient qu’enregistrer un fait politique qui n’avait cessé d’exister aux yeux du pays, qui aurait pu, à la rigueur, se passer du luxe d’une sanction inutile. Est-ce que dans ce temps-là, pendant qu’on discutait sur l’existence de la royauté, les plus fiers tribuns eux-mêmes, devenus des personnages, ne se pressaient pas aux baise-mains de la cour ?

Poursuivons : si la l’évolution ne peut rien essentiellement contre la monarchie, a-t elle pour objet de faire prévaloir dans la vie sociale quelque principe nouveau d’égalité démocratique ? Mais il n’y a point de pays où il y ait entre les classes moins d’hostilité, où la démocratie réelle, celle qui résulte d’un sentiment profond d’égalité morale, règne plus qu’en Espagne. L’aristocratie n’a point d’avantages politiques, elle n’a point une existence à part, elle n’a d’autre privilège que de porter, faiblement quelquefois, des noms illustres qui rappellent des traditions chères au peuple lui-même. Ce serait certainement la plus vaine et la plus impossible des entreprises de prétendre déraciner de l’âme de cette race l’orgueil de son passé et de ses souvenirs. Il ne faut point, s’y tromper, dans les projets de réformes constitutionnelles qui ont vu le jour il y a quelques années, ce qui choquait le moins, c’était le l’établissement des majorais dans une certaine mesure et l’introduction de l’élément aristocratique dans l’organisation du sénat. L’aristocratie, telle qu’elle existe aujourd’hui en Espagne, est accessible à tous, et tout le monde y aspire.