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des cortès, après trois mois de révolution. L’incertitude et l’anarchie envahissaient le pays à l’abri d’une dictature impuissante ou complice. Au centre de ce désordre immense se tenait Espartero, grave comme un sphinx, affectant de se faire l’exécuteur de quelque volonté populaire inconnue, hésitant à prendre un parti et laissant tout soupçonner. La royauté restait livrée sans défense à la diffamation des journaux ou des plus violens pamphlets, tels que le Peuple et le Trône, — Espartero et la Révolution. Aussi attendait-on avec une singulière anxiété la fin de cet interrègne et le moment de l’ouverture des cortès. Le 8 novembre, le congrès constituant se réunissait à Madrid. C’était la première fois depuis la révolution que la reine allait reparaître véritablement dans la vie publique de la Péninsule, en présence de cette nouvelle représentation nationale. Quand elle entra, il se fit un silence qui était certes de nature à inspirer quelque émotion. Isabelle prononça un discours simple, mesuré, où l’auteur, — c’était M. Pacheco, — avait cherché à concilier la dignité de la souveraine et les exigences de la situation. Aussitôt retentirent les cris de vive la reine ! spontanément répétés par le peuple. Ce jour-là, Isabelle II fut un moment ce qu’elle n’avait point été depuis trois mois, ce qu’elle n’a point toujours été réellement depuis cette heure du 8 novembre, — la reine véritable de l’Espagne.


III

La réunion des cortès marque une phase nouvelle dans la révolution espagnole, non pas qu’elle en change les conditions et la nature ; mais elle vient, pour ainsi dire, mettre tous ces élémens en demeure de s’organiser et de se constituer, elle vient sommer cette révolution de préciser son caractère et son but. Et ici, dès le premier instant, nous nous trouvons en présence d’une de ces rapides péripéties où se dévoilent les plus secrets replis d’une situation.

Qu’on se représente une assemblée sortie d’un pays bouleversé. Les anciens modérés d’abord avaient disparu selon l’habitude ; il restait à peine quelques hommes jeunes et d’un talent remarquable, MM. Candido Nocedal, Alejandro Castro. La portion la plus considérable du congrès appartenait à l’Union libérale, dont l’image vivante était la présence simultanée au pouvoir d’Espartero et d’O’Donnell : ils figuraient les généraux Concha, Serrano, San-Miguel, Ros de Olano, Dulce, MM. Cortina, Madoz, Rios Rosas, Gomez de la Serna, Pacheco. À côté, il y avait environ cinquante progressistes purs, parmi lesquels allait se placer M. Olozaga, et dont la politique eût été de séparer le duc de la Victoire des modérés pour créer ce qu’ils appelaient une situation complètement esparteriste. Puis venait un petit