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Allende Salazar, dans un manifeste adresse à ses électeurs de la Biscaye ? Ministre de la reine Isabelle, il recommandait à ses commettans de rester indifférens, quelque dynastie, quelque forme de gouvernement que se donnât l’Espagne. Cette tactique irritait profondément les modérés de la révolution, notamment les généraux, lorsqu’un de leurs journaux, le Diario Espanol, vint brusquement piquer au vif ce qu’il appelait les rêveurs de républiques ou de régences. « Non, mille fois non, disait-il, la nation espagnole n’appartiendra jamais à des individualités déterminées. Elle sera la proie de la révolution, de la démagogie, de l’anarchie, de la tyrannie, du chaos, mais d’un nom, quelque illustre qu’il soit, jamais. Les rêveurs de républiques pourront gagner la partie pour un temps plus ou moins long ; quant aux rêveurs d’empires, de dictatures et de régences, qu’ils se réveillent et qu’ils méditent sur Iturbide et Rosas. Qu’ils se réveillent et qu’ils achèvent de compléter leurs études sur l’histoire de 1843. Qu’ils se réveillent et qu’ils regardent leur futur portrait dans le Punch et le Charivari… » Cette sortie directe et calculée devint l’objet des plus vives explications dans le conseil, et en fin de compte il en résulta un rapprochement nouveau. La politique du ministère n’en fut pas plus nette ; il fut décidé seulement que la reine ouvrirait en personne la session législative des cortès.

Ce n’est pas tout : cette crise intime s’apaisait à peine que la lutte se réveillait et se dessinait dans un assez, curieux incident d’une autre nature. Le général San-Miguel saisissait l’occasion naturelle de l’organisation définitive de la milice nationale de Madrid, dont il était inspecteur général, pour présenter les officiers à la reine. Mais présenter les officiers de la milice nationale à Isabelle II, n’était-ce pas préjuger la question monarchique ? Un instant ce pauvre général San-Miguel, qui n’eut certes jamais semblable vocation, fut transformé en un chef de prétoriens, en un véritable Brennus prêt à jeter son épée dans la balance des destinées de l’Espagne. Les officiers de la milice allèrent au palais et furent présentés à la reine ; seulement, en sortant de là, comme pour neutraliser l’effet de cette démonstration, quelques-uns voulurent se rendre chez le président du conseil, et tout le monde suivit. Le duc de la Victoire répondit à cette démarche comme il répondait toujours : « Que la volonté nationale s’accomplisse ! » La polémique s’en mêla, et fit du discours d’Espartero une leçon adressée au général San-Miguel. À son tour, San-Miguel répliqua vivement, en disant, par une allusion transparente, que la volonté nationale s’accomplirait, et qu’il faudrait qu’elle fût respectée par tous. La lutte n’alla pas plus loin pour le moment ; on en avait dit assez pour se comprendre.

Ainsi s’offrait la situation de l’Espagne aux approches de la réunion