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s’il n’avait point reçu ces lettres, il répliqua que si le duc de la Victoire avait cru devoir s’adresser à lui directement, il lui aurait déclaré ce qu’il avait dit déjà, que son épée appartenait à l’Espagne, à la reine constitutionnelle, non à un chef de parti. Cette réponse faillit coûter à Dulce la capitainerie générale de la Catalogne, à laquelle il venait d’être nommé.

Ceci est l’indice des conditions réelles dans lesquelles Espartero prenait le gouvernement. Maître absolu de ses résolutions, il n’aurait point partagé le pouvoir. Il fit ce qu’il put, sinon pour évincer entièrement O’Donnell, du moins pour l’éloigner de ce qui était sa force, de l’armée. Il lui offrit successivement la capitainerie générale de Cuba, le ministère des affaires étrangères, le ministère de la marine. O’Donnell sourit, dit-on, et ne voulut accepter que le ministère de la guerre. Espartero, sous peine de se précipiter dans une crise formidable, était contraint de traiter. De là le ministère formé le 31 juillet, aussitôt après l’arrivée des chefs de l’insurrection à Madrid. Le duc de la Victoire avait la présidence du conseil sans portefeuille, et il plaçait son aide de camp, M. Allende Salazar, au ministère de la marine. M. Alonso représentait au ministère de la justice les souvenirs de 1843. À l’intérieur, c’était aussi un ancien progressiste, M. Santa-Cruz. Le ministre des finances, M. Manuel Collado, était un banquier, sénateur et ami du général O’Donnell, qui prenait lui-même le portefeuille de la guerre. Un homme éminent, également ancien conservateur, sincèrement dévoué à la monarchie constitutionnelle et à la reine, et qui était allé fortifier le parti sage de la junte, M. Pacheco, entrait aux affaires étrangères. Le ministre des travaux publics, M. Lujan, passait pour un progressiste modéré, opposé à toute violence. L’Espagne retrouvait ainsi un gouvernement après un interrègne de quinze jours. Et dans cet interrègne que de choses avaient eu le temps de s’accomplir ! que de complications avaient grandi ! Dans les provinces, les juntes mettaient partout l’anarchie ; c’était à qui supprimerait une loi, un impôt, ou bien à qui distribuerait des places et des grades. Il se trouva que les juntes avaient nommé trente-huit généraux ! On ne ratifia plus tard qu’un petit nombre de ces nominations. À Madrid même, la population étonnée voyait surgir une presse nouvelle, écho des barricades, — des clubs, organes de toutes les excitations contre, la royauté, contre Marie-Christine surtout. C’est sous ces auspices que naissait le ministère.

Il ne faut, point l’oublier, dans ce ministère, deux partis faisaient alliance. Espartero et O’Donnell, « le vainqueur de Luchana et le vainqueur de Lucena, » paraissaient au balcon pour proclamer l’union libérale : mais c’était un mariage forcé où chacun apportait