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deux jours et dont les instans étaient marqués, devenait plus impuissant encore pour préserver jusqu’au bout la majesté du trône. Il ne restait plus d’autre issue à la reine que de se faire défendre par l’insurrection elle-même, en appelant le plus modéré des révolutionnaires, le général San-Miguel, qui s’était laissé placer à la tête d’une junte. Puis Madrid fut en liesse : les barricades, en réalité peu nombreuses pendant la lutte, se multiplièrent à l’infini. Le peuple en fit son amusement, ornant ces citadelles de l’émeute des portraits de la reine, d’Espartero, des généraux de Vicalvaro, mêlant, en un mot, dans ses entraînemens passionnés tous les mots d’ordre et tous les drapeaux.

Passer en deux jouis du ministère du comte de San-Luis à une véritable dictature déférée au duc de la Victoire dans la dissolution de tous les pouvoirs réguliers, quel rapide chemin ! Et sur ce chemin, quelles foudroyantes étapes ! Les événemens une fois accomplis, il est aisé sans doute d’imaginer toute sorte de combinaisons qui auraient pu les conjurer. Il est plus difficile de savoir quelle est celle de ces combinaisons qui aurait eu une efficacité quelconque, surtout quand on songe que l’orage se formait sur l’Espagne depuis deux ans. Si le ministère était tombé au 28 juin, dit-on, si le général O’Donnell eût été appelé, tout était fini. Rien n’était fini au contraire ; c’était évidemment une crise nouvelle qui s’ouvrait par une capitulation sans combat devant la pire des séditions, — une sédition militaire consommée par un abus de la discipline. Si du moins au 18 et au 19 juillet on eût confié la direction des opérations militaires dans Madrid au général San-Miguel, au lieu de la laisser aux mains du général Cordova, dont le nom était impopulaire, toutes les extrémités de la lutte pouvaient encore être évitées, ajoute-t-on. — Mais le général San-Miguel, tout honorable qu’il fût, n’était qu’un insurgé de plus placé bientôt à la tête d’une junte révolutionnaire, et les ministres progressistes du cabinet de quarante heures ne crurent pas eux-mêmes qu’il pût exercer un commandement. Lorsque enfin tout fut accompli et qu’il fallut se rendre, n’eût-il pas mieux valu consentir à appeler le général O’Donnell, dont les antécédens étaient tout conservateurs, que se livrer au duc de la Victoire, dont le nom était le symbole d’une victoire progressiste ? D’abord O’Donnell était à cent lieues de Madrid, et l’insurrection était là, menaçante. Cette raison n’était point cependant suffisante, puisque le duc de la Victoire se trouvait également éloigné. Il y en avait une autre plus intime. O’Donnell, après tout, n’avait point cessé, aux yeux de la cour, d’être le rebelle du 28 juin. On pouvait lui imputer la responsabilité des événemens qui se succédaient, et il n’est point surprenant qu’il y eût contre lui un ressentiment plus vif, plus personnel.