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n’était plus un gouvernement, c’était une réunion d’hommes de bonne volonté, choisis un peu dans toutes les nuances, rapprochés par des considérations de circonstance, et mettant en commun leurs efforts pour exercer une sorte de médiation entre toutes les animosités. La réforme constitutionnelle était un élément de trouble ; — on s’appliquait à en adoucir les termes, et on la déférait entièrement aux cortès. La presse avait été rigoureusement traitée, — on se relâchait de ces rigueurs. Le comité libéral avait été dissous d’autorité et avait vu ses manifestes supprimés ; — on négociait avec lui et on laissait circuler ses manifestes. L’élément militaire était vivement froissé d’être subordonné depuis deux ans à l’élément civil dans les conseils du gouvernement ; — le premier cabinet qui succédait à M. Bravo Murillo, celui du général Roncali, était un cabinet presque militaire : il contenait trois généraux qui se rencontraient avec deux des hommes les plus remarquables du parlement, MM. Alejandro Llorente et Antonio Benavidès. Le ministère Roncali parvenait à détacher quelques membres du comité modéré, il faisait des élections favorables, il réunissait les cortès, et en peu de temps cependant les difficultés étaient les mêmes, les hostilités renaissaient plus vives dans le sénat, où elles se faisaient jour par la voix des chefs militaires. Si quelques voiles pouvaient couvrir les visées de l’opposition, le général Manuel de la Concha, marquis del Duero, les déchirait dans une discussion sur les chemins de fer, en mettant directement en cause « un homme puissant, disait-il, qui exerce une influence fatale et démesurée sur le ministère actuel, comme il l’a exercée sur le ministère antérieur, — un homme à qui est due la chute du duc de Valence, parce que celui-ci avait dit : Je veux être le gouvernement. » Il s’agissait du duc de Rianzarès, mari de la reine Christine. Une suspension nouvelle des cortès après ces discussions, voilà où aboutissait le ministère, et il périssait du même coup.

Le cabinet du général Lersundi était-il plus heureux ? Formé des élémens les plus différens, il se remettait avec une entière bonne foi à cette œuvre ingrate et chaque jour plus difficile de la conciliation. Il prodiguait la tolérance, cherchait à détourner les esprits des émotions politiques, laissait tout le monde convaincu de la droiture de ses vues, et ne réussissait à vivre lui-même que d’une vie éprouvée par une série ininterrompue de crises intérieures. Ces tentatives, plus dignes d’estime qu’efficaces, on les honorait ; mais les hommes les plus considérables refusaient de s’y associer, on en sentait l’impuissance. L’opposition pouvait être partiellement démembrée ou neutralisée momentanément ; elle n’était point vaincue, elle gardait son attitude et sa vivacité. L’opposition avait déjà un mot d’ordre : la liberté, la constitution ! Toutes les opérations de finances, d’industrie et