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et en ce moment encore elles votent cette belle imagination d’une commission permanente, fonctionnant pendant l’absence des cortès et investie du droit de les convoquer. Nulle direction ne préside à ces travaux sans lendemain, et malheureusement l’impulsion qui manquait à l’assemblée, le gouvernement n’a pas su la lui donner ; à vrai dire, le gouvernement n’aurait pas pu donner aux cortès ce qu’il n’avait pas lui-même. Le duc de la Victoire disait tout récemment devant le congrès qu’il était prêt à verser son sang pour la patrie, en combattant les insurgés de l’absolutisme. L’Espagne n’a pas précisément besoin du sang du vainqueur de Luchana, comme on l’appelle ; mais elle aurait eu grand besoin, puisqu’il était à la tête du gouvernement, qu’il eût un peu d’esprit politique, une certaine décision, et la résolution de raffermir un pays ébranlé par une secousse comme celle de l’année dernière. Voilà ce dont l’Espagne aurait eu besoin, voilà ce qui a manqué une fois de plus à Espartero, et voilà ce qui fait que la Péninsule est de nouveau menacée par la guerre civile.

Le bruit des affaires de l’Europe, ce bruit permanent de guerres, de luttes et parfois de révolutions, est plus que suffisant à coup sûr pour dominer celui des questions qui s’agitent dans le Nouveau-Monde, et il n’est pas surprenant que, quand l’attention est tout entière en Crimée, dans la Baltique ou à Vienne, elle se tourne un peu moins vers le Pérou, vers les régions de la Plata ou le Paraguay. Ces contrées cependant ont leur histoire, et cette histoire a ses épisodes, qui ne sont pas toujours malheureusement très variés. Depuis plus de deux ans par exemple, quelle est l’unique préoccupation de la République Orientale ? C’est celle de vivre, d’éviter une crise chaque jour plus imminente, et si elle n’est point arrivée à une décomposition totale, elle n’en est pas beaucoup plus avancée. Ce n’est pas que le gouvernement oriental, dont le chef est toujours le colonel Florès, ne paraisse animé des meilleures intentions ; mais il a surtout le sentiment de son impuissance, et quand les difficultés finissent par devenir trop pressantes, il cesse de s’en occuper et parle de se retirer. Telle est la désorganisation de l’état oriental, qu’il ne peut vivre que sous la protection brésilienne, toute-puissante à Montevideo depuis longtemps ; — et comme l’intervention brésilienne est un péril de plus, un élément de décomposition de plus, cette malheureuse république tourne dans un cercle vicieux d’où elle ne peut sortir. Le président ouvrait, il y a quelques mois, la session législative, et il n’avait à constater aucune amélioration dans cette situation. Il avait été obligé, de prendre à l’égard de la presse des mesures qui lui étaient imposées par les conditions mêmes où se trouve le pays, et qui lui suscitaient toute sorte d’embarras intérieurs. Un point bien plus grave encore, c’est l’état des finances. Le déficit n’a certes rien d’exceptionnel à Montevideo pas plus que dans toutes les contrées sud-américaines. Quelque habitude qu’on en ait, il est clair cependant qu’on ne peut aller longtemps avec des dépenses qui excèdent les recettes de près de six millions sur un budget de seize millions. Encore est-ce là l’évaluation officielle, sous laquelle se cache une réalité plus triste sans doute. Mais la question la plus grave, la plus vitale pour l’état oriental est sa dépendance entière vis-à-vis du Brésil, dont il serait fort embarrassé