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mée tout à coup, ou plutôt elle a fait place à une motion belliqueuse soutenue par M. Disraeli, en sorte que le cabinet avait à la fois à se défendre contre les partisans de la paix et contre les partisans de la guerre. Ceux-ci étaient incontestablement les plus dangereux, et lord Palmerston n’a eu d’autre moyen de neutraliser l’opposition que de se montrer le plus décidé des partisans de la guerre. Dès lors le cabinet a obtenu une majorité immense dans la chambre des communes, de même qu’il était sorti victorieux d’une discussion semblable dans la chambre des lords quelques jours auparavant.

Ainsi la guerre se retrouve au fond de tous les incidens politiques ; elle apparaît sous toutes les formes, et si elle a sur son théâtre lointain ses journées terribles et glorieuses, la paix ne laisse point d’avoir ses fêtes au même instant. C’est une de ces fêtes qui vient de se produire récemment à Paris par l’ouverture de l’exposition universelle des beaux-arts et de l’industrie. L’inauguration a eu lieu avec une solennité exceptionnelle, digne de cette réunion de toutes les œuvres du génie de tous les peuples. L’ordre a de la peine à se faire encore dans ce vaste chaos. S’il faut tout dire cependant, il n’est point certain qu’il n’y ait là quelque déception, comme il arrive souvent des idées trop grandioses, dont on attend des résultats démesurés. Sans doute il y aura toujours un profit pratique considérable à pouvoir comparer les produits, étudier leurs perfectionnemens, constater les progrès industriels de période en période : c’est là un des objets des expositions ; mais quand ces expositions prennent un caractère trop étendu, trop colossal, ne risquent-elles pas de devenir tout simplement une immense confusion où le regard se perd ébloui par tout ce qui l’entoure ? Là où il n’y a point de proportion, il n’y a point d’ordre, il n’y a point de beauté, et voilà pourquoi les expositions universelles offrent plutôt un spectacle gigantesque qu’une expression vraiment grande de la civilisation. Les résultats pratiques peuvent rester, comme nous le disions ; mais c’est l’idée même qui n’est peut-être qu’une de ces chimères ambitieuses d’un temps qui en a nourri tant d’autres.

Quand on cherche à travers quelles épreuves une société en vient à changer ses mœurs, ses idées, sa nature politique et morale tout entière, il faut remonter toujours à cette époque d’où tout semble dater, à ces dix années qui terminent l’autre siècle et viennent se perdre dans le siècle nouveau. C’est le type, l’exemplaire formidable de ces crises radicales qui ont la prétention de transformer un monde, et qui ne font que le bouleverser. Dix ans s’écoulent : — une société aussi vieille que la civilisation de l’Europe est livrée à l’expérimentation empirique des tribuns, puis se réveille lassée, hébétée et décomposée aux mains d’un soldat qui lui donne l’égalité sous un maître, le repos dans la gloire, l’organisation dans le silence. Mais dans cet intervalle, que de choses accomplies qui expliquent le dénoûment ! que de révolutions dans une révolution, — le 10 août, le 21 janvier, le 31 mai, le 9 thermidor, le 18 fructidor, le 18 brumaire ! Quel mélange de bien et de mal, de principes généreux à peine entrevus, plus promptement oubliés, et de fureurs sanguinaires, de destructions puériles, de désespoirs héroïques ! Qu’on remarque cependant cette terrible logique qui conduit de l’omnipotence terroriste de la convention à l’abjection du directoire, pour arriver à la dictature de l’épée, devenue seule capable de commander. M. de