Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/1105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

point assez pour que l’Autriche attende l’arme au bras les bénéfices d’une entreprise dans laquelle la France et l’Angleterre versent le sang de leurs soldats.

Une des raisons les plus propres à expliquer la temporisation de l’Autriche, nous venons de la dire, c’est l’état de l’Allemagne, c’est surtout la triste et singulière attitude de la Prusse. Depuis quelque temps, la Prusse, en vérité, est dans un véritable paroxysme moscovite, si bien qu’on a pu dire qu’elle devenait plus russe que le tsar. Chose bizarre ! lorsque le cabinet de Pétersbourg, dans sa dépêche récente à M. de Glinka, s’abstenait avec calcul de solliciter une réponse de la diète, sait-on qui lui a reproché cette habile modération, en la taxant presque de pusillanimité ? C’est la Prusse. On aurait voulu à Berlin que la Russie pesât sur la diète pour en obtenir cette déclaration de neutralité tant désirée, et on ne désespérait point d’y réussir à la faveur de quelques-uns des derniers incidens, d’y ramener même l’Autriche. C’est là en effet le fond de la pensée de la Prusse : une grande neutralité armée qui se changerait bientôt en médiation pour imposer la paix aux belligérans ; mais tel le cabinet de Berlin est sous l’empire d’une étrange illusion. Pour l’Autriche, accepter cette politique, ce serait non-seulement renier ses engagemens, mais encore passer au second rang, en se mettant à la suite de la Prusse, — et telle n’est point sans doute la pensée des hommes d’état de Vienne. Quant aux états allemands dans leur ensemble, ils peuvent encore moins se prêter à cette politique, parce que si beaucoup d’entre eux ont des sympathies russes mal déguisées, ils ont aussi de vives préoccupations qui tiennent leurs regards incessamment tournés du côté de la France, et qu’ils sentent bien que le jour où se produirait cette médiation caressée par la Prusse, il pourrait en sortir des complications dont ils seraient les premiers à supporter le poids. Le cabinet de Berlin se verra donc obligé de renoncer à sa chimère, et ce ne sera pas la première fois. Dans la crise qui s’est élevée en Europe, s’il est un gouvernement qui ait assumé une grave responsabilité, c’est à coup sûr celui de la Prusse. Il était possible à l’origine peut-être de borner les complications, de les dégager du moins de ce qu’elles avaient de plus périlleux. Il suffisait, pour cela, de placer la Russie sous le poids de son isolement, de lui opposer le faisceau serré et compacte de toutes les volontés et de toutes les forces de l’Europe. Quel gouvernement a le premier détruit ce concert après avoir coopéré à la politique européenne ? C’est le gouvernement prussien. Non-seulement il n’a voulu rien faire, mais il a empêché les autres d’agir. Il a fait la propagande de l’irrésolution et de l’inaction ; il a paralysé l’Autriche par sa politique énigmatique, et en fin de compte il n’est arrivé qu’à rendre son intervention inutile dans les grandes affaires de l’Europe, qui suivent leur cours sans lui et hors de son influence.

Ces affaires, qui restent le principal objet des préoccupations de l’Angleterre et de la France, viennent d’avoir leur retentissement dans le parlement britannique. Elles ont même amené une de ces discussions qui se reproduisent assez souvent depuis quelques mois à Londres, et où l’existence du ministère est en jeu. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que la première motion d’où est né le débat récent de la chambre des communes avait pour but, dans l’origine, de faire prévaloir une politique pacifique. Elle s’est transfor-