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Si ces évaluations sont justes, il en ressort manifestement que la mortalité est aujourd’hui beaucoup plus lente qu’elle ne l’était dans les siècles précédens, ce qui tient sans doute à la disparition de la petite vérole d’une part, et de l’autre à l’amélioration matérielle des classes pauvres. Cette marche croissante de la durée moyenne de la vie, si elle continue encore d’une manière sensible, pendant un certain temps, devra ensuite se ralentir de plus en plus, jusqu’à ce qu’elle parvienne à un niveau qu’elle ne dépassera pas, et qu’il sentit téméraire de fixer quant à présent. On peut accorder sous ce rapport une grande latitude aux promesses de l’avenir. Tenons-nous cependant en-deçà des hypothèses de Condorcet. « Cette durée moyenne de la vie, dit-il, doit augmenter sans cesse à mesure que nous enfonçons dans l’avenir, et elle peut recevoir des accroissemens suivant une loi telle qu’elle approche continuellement d’une étendue illimitée, sans pouvoir l’atteindre jamais. » On le voit, l’auteur de l’Esquisse des progrès de l’esprit humain se place sur une pente où il serait dangereux de le suivre.

Rien ne prouve que cette progression de la vie moyenne, qui a été ascendante depuis cinq ou six siècles, l’ait été également depuis les temps les plus reculés. Il est vraisemblable au contraire qu’elle a subi de nombreuses oscillations, et que même pendant certaines périodes tout entières elle a offert un mouvement inverse. Malheureusement nous manquons de faits qui puissent donner suffisamment de poids à cette présomption. L’antiquité nous refuse là-dessus les renseignemens nécessaires. Tout ce que nous savons, c’est que sous Alexandre Sévère, vers le commencement du IIIe siècle, Ulpien a calculé la vie moyenne dis Romains d’après les dénombremens faits depuis Servais Tullius jusqu’à Justinien, c’est-à-dire pendant une période de mille ans, et qu’il l’a fixée à 30 années environ. Si l’on accordait une égale valeur à ce résultat et à ceux que M. Villermé a donnés pour les temps modernes, on arriverait à cette conséquence, que sous le rapport de la mortalité la période romaine était infiniment moins différente de l’époque actuelle que celle-ci ne l’est du XIVe siècle, et que la vie allait en décroissant pendant le moyen âge.

Quand nous espérons que la durée moyenne de la vie augmentera encore, nous avons principalement en vue les progrès de toute sorte qui chaque jour se multiplient davantage et étendent sur nous leur heureuse influence. Sans cette raison suprême, qui oserait affirmer que le mouvement actuel, dont le point de départ est la renaissance, ne puisse changer de direction et ramener la vie moyenne soit à 3à, soit à 25, soit même à 17 ans, s’il est vrai qu’elle ait jamais été aussi courte ? De la tendance passée on n’est pas en droit de conclure la marche future, à moins que les causes de cette tendance ne restent les mêmes et n’agissent constamment dans le même sens.

La vie moyenne, eu donnant à ce mot sa signification la plus habituelle,