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seule que, nous pouvons arriver à connaître la durée moyenne de la vie humaine. Les résultats numériques nous fourniront la durée ordinaire, et les faits historiques la durée anormale. En s’aidant ensuite tour à tour de la statistique et de l’histoire, la physiologie nous dira quelle est la durée normale, la durée naturelle de la vie, dernier et principal objet du problème que nous venons de poser.


I

Voyons d’abord ce qu’enseigne la science des nombres concernant la durée moyenne et la durée ordinaire de notre existence. Les résultats numériques ont l’heureux privilège de frapper l’esprit et d’y porter la conviction. Nul argument ne vaut un chiffre, a-t-on dit souvent, et cela est vrai, à la condition que ce chiffre sera l’expression exacte des faits qu’il résume. Or il est permis de douter que cette condition ait toujours été remplie dans les travaux destinés à faire connaître les mouvemens de la population. L’indifférence des gouvernemens, l’étendue de la tâche et l’incurie de ceux qui en sont chargés, l’insuffisance des documens et la fluctuation produite dans les grandes villes par l’émigration constituent tout un concours de circonstances bien propres à fausser les résultats généraux. À côté des inexactitudes provenant de ces diverses causes, il faut placer encore les erreurs volontaires dictées par l’intérêt politique et par les intérêts locaux à tous les degrés. Les calculs effectués dans ces conditions ne sauraient donc avoir une rigueur mathématique, dans le sens qu’on attache ordinairement à ce mot. Cependant, comme beaucoup de tables de mortalité ont déjà été dressées, qu’elles embrassent un grand nombre de faits et d’années, et que vraisemblablement elles ne pèchent pas toutes dans la même direction, les conclusions qu’on en peut tirer ne doivent pas s’éloigner considérablement de la vérité, et elles nous offrent une certitude suffisante pour le but que nous nous proposons ici, pourvu qu’on ne voie pas dans nos chiffres autre chose que des approximations.

Ces réserves une fois faites, quelles sont les lois de la mortalité considérée au point de vue numérique ?

La vie est constamment en péril, mais elle, est plus ou moins exposée aux diverses époques de sa durée. C’est surtout pendant les premiers âges que la mortalité est considérable. La France, un sixième des enfans meurt dans la première année, un cinquième pendant la seconde, et un quart avant la quatrième. Un tiers a déjà succombé à l’âge de 14 ans ; il en reste la moitié. À 42, le quart à 69, le cinquième à 72, et le sixième à 75. Ainsi, sur 100 naissances, il n’y aurait plus que 80 survivans au bout de deux ans, et environ 68 au bout de quatorze. Avant la révolution, Duvillard ne portait qu’à 50 le nombre des jeunes gens qui, sur la même quantité de naissances, atteignaient leur vingtième année ; mais M. Bienaymé, ayant soumis à un examen sévère les listes de recrutement dressées par toute la France de 1823 à 1831, a montré que le rapport des conscrits aux naissances correspondantes est au moins de 60 sur 100, résultat complètement conforme d’ailleurs à celui qu’avait obtenu J. Milne pour la ville de Carlisle, et qui depuis a été retrouvé pour Paris. D’après Demonferrand, il n’y aurait plus sur cent naissances que