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Cependant quel style ! quelle insouciance de crayon ! l’élève de Lebrun copiait du Phidias comme il eût copié quelque carton de son maître. M. de Nointel d’ailleurs l’avait emmené moins pour étudier les monumens que pour dessiner des costumes et mille objets frivoles. Il voulait, dit Cornelio Magni dans une relation qu’il a publiée de ce voyage, construire une magnifique galerie à son retour en France : elle devait être composée de mannequins en paille, de grandeur naturelle, revêtus de tous les costumes imaginables.

Les antiquaires, comme Spon et Wheler, si toutefois Wheler mérite ce nom, considéraient les monumens de Périclès avec une attention plus sérieuse. Ils avaient vu déjà beaucoup de ruines, ils pouvaient établir des comparaisons ; mais leur goût ne s’est point cependant développé : ils sont de leur siècle. L’art grec est pour eux un livre fermé, complètement fermé : c’est à peine s’ils distinguent les constructions d’Ictinus de celles des Byzantins, et ils n’hésitent point à déclarer que les frontons du Parthénon sont l’œuvre de l’empereur Adrien. En effet, les marbres ne sauraient remonter à une antiquité plus reculée : ils sont si blancs ! Du reste, Spon trouve à deux des statues un air de l’empereur Adrien et de l’impératrice Sabine, qu’il connaît par les médailles. La raison est sans réplique. Dans ce siècle, on ne doit chercher ni des critiques, ni des archéologues : je ne vois que des antiquaires. Il y avait aussi ce qu’on pourrait appeler les bonnes âmes, qui s’apitoyaient sur les blessures du Parthénon. À défaut d’admiration intelligente, certains visiteurs avaient des larmes, si l’on en croit Cornelio Magni ; ils gémissaient devant les parties brisées et passaient rapidement devant les beautés intactes. J’ai rencontré moi-même à l’Acropole quelques bonnes âmes qui n’agissaient point différemment :

Je pleure, hélas ! sur ce pauvre Holopherne
Si méchamment mis à mort par Judith.

Il est inutile de poursuivre dans le détail toutes ces erreurs :: elles suffisent à démontrer un grand fait, qui ne se manifeste avec autant de clarté à aucune autre époque, — l’importance de l’éducation en matière d’art. Des ambassadeurs, des savans, des artistes, des gens d’esprit visitent Athènes aux XVIe XVIIe siècles, deux grands siècles pour le génie moderne ; ils sont insensibles à la simplicité et à la perfection incomparables des monumens grecs, ou, s’ils en sont frappés, ils ne les comprennent point et ne se rendent point compte de ce qui les étonne. Pourquoi ? Parce que leurs yeux sont accoutumés à d’autres formes, leur goût à d’autres préférences, leur esprit à d’autres principes. Ils voient comme leur siècle et n’ont point assez de science pour rompre avec la routine et se placer au point de vue des siècles passés.