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science généreuse autant qu’aimable de partager avec nous des richesses lentement acquises, en nous offrant à la fois ses œuvres et ses archives. Je sais par expérience combien de difficultés rencontraient naguère ceux qui voulaient réunir des témoignages épars et déjà oubliés. Aujourd’hui il n’est plus besoin d’écrire à Vienne ou à Londres, à Venise ou à Cassel, de faire compulser les registres des palais Barberini, de demander inutilement aux bibliothèques de Paris une description d’Athènes par le père Babin. Les pièces inédites sont publiées, les textes rares sont imprimés de nouveau avec une respectueuse fidélité, les eaux-fortes sont reproduites, les plans et les dessins calqués, les fragmens originaux saisis au vif par la photographie, et ce dont je m’applaudis surtout, c’est que cet ensemble de documens peut prendre place dans nos modestes bibliothèques, tandis que de coûteux ouvrages, destinés aux savans qui ne peuvent les acheter, sont réservés aux riches qui ne les veulent point lire.

M. de Laborde n’a point seulement été conduit par une espérance qu’il savait devoir être souvent déçue, mais par un sentiment que je trouve exprimé dès la seconde page : « Après avoir vu Athènes éloquente et majestueuse dans les livres, Athènes silencieuse et ruinée, sublime invalide, sur le terrain même de son immortalité, je me suis demandé comment cette ruine s’était faite, par quelles mains barbares, par quelles intempéries furieuses ces monumens incomparables, construits pour l’éternel enseignement de l’humanité, avaient été jetés bas, mutilés, déshonorés. » Ainsi l’auteur, en descendant le cours des siècles, nous racontera les accidens qui ont détruit les monumens et les doctes écrits qui devaient les faire revivre ; il fera à la fois l’histoire des ruines et l’histoire de la science, de ce double mouvement qui se produit en sens inverse, car l’antiquité s’efface à mesure que les générations modernes apprennent à l’étudier ; les temples s’écroulent au moment où la critique, lentement formée, va pouvoir les décrire et les comprendre.

Voulant esquisser la chute lamentable des chefs-d’œuvre de l’art athénien, j’ai moi-même interrogé les voyageurs qui ont vu l’Acropole encore complète avec une sévérité que je crois juste. Ils pouvaient, s’ils eussent eu l’intelligence de la beauté vraie, ils pouvaient, d’un coup de crayon ou d’un trait de plume, rendre impérissables des modèles désormais perdus, des magnificences qui ne sont plus que des problèmes, et ils ne l’ont point fait. Je ne reprendrai donc point un sujet sur lequel M. de Laborde vient aujourd’hui dire le dernier mot. Je ne murmurerai même pas contre l’indulgence de l’auteur pour les vieux amis qu’il produit dans le monde ; je dissimulerai une nuance de ressentiment contre ces esprits