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convient qu’en effet il est bien tard pour commencer la cure, mais qu’elle n’abandonne point tout espoir. Ainsi parlant, la magicienne ouvre un rideau, et le docteur se trouve face à face avec une poupée de bois représentant à s’y méprendre l’exacte image du comte de Saintrée aux beaux jours où les flammes de la vie et de la santé brillaient encore dans ses yeux. Voilà bien en effet son air tendre et sentimental, son sourire doux et mélancolique, son élégance un peu négligée comme il arrive chez les gens qu’une longue pensée d’amour préoccupe. Cette épée est la sienne ; en chapeau si galamment tourné, vous l’avez vu sur sa tête, et cet habit de satin bleu, cet habit dont les larmes de deux beaux yeux firent jadis un talisman, ne le reconnaissez-vous point ? Pas un galon n’y manque, il est tout neuf encore et tout pimpant ; seulement, si vous regardez bien, à la place qui recouvre le cœur, vous trouvez une déchiqueture.

L’automate est resté les bras croisés dans l’attitude que nous l’avons vu prendre le jour de la fameuse séance. Melück presse un ressort secret qui distend les membres et lui permet de reprendre l’habit qu’elle livre à Frenel. « Hâtez-vous, s’écrie-t-elle ; dans une heure il serait trop tard : le malheureux ne vit plus que des dernières fibres de son cœur. Mettez-lui cet habit, qu’il ne le quitte plus ! Peut-être ainsi retrouvera-t-il la santé, l’existence. Quant à son cœur, il ne saurait le retrouver qu’à mes côtés, car son cœur désormais est en moi. Dites-lui qu’il m’a rendue malheureuse, et que je ne réclame rien que sa présence ; que son être tout entier appartient à sa femme, mais qu’il sache bien qu’en moi est son cœur, que sans moi il ne saurait vivre, et que seulement autant que je vivrai, il vivra. »

Sans perdre une minute, le docteur revient chez Saintrée, qui, à la vue de l’inestimable trésor qu’il croyait perdu, sent renaître un vague rayon d’espérance. Immédiatement le charme opère. Saintrée renaît à la vie, à la jeunesse, à la santé comme par miracle, et cet habit, que l’attristante maigreur de ses membres faisait paraître le premier jour d’une largeur démesurée, lui sied bientôt comme jadis. Toutefois, au milieu de cette résurrection générale, le cœur continue à se taire ou plutôt à demeurer absent, et à l’endroit où il devrait battre, la main qui le cherche ne trouve qu’une lacune. Avec tous les signes extérieurs du bien-être physique, Saintrée n’éprouve qu’indifférence et lassitude. Egalement incapable de sympathie et de haine, toute initiative lui fait défaut, et le foyer générateur manque pour animer de l’étincelle électrique ces rouages qu’une impulsion machinale semble seule mettre en activité. Contre cette langueur misérable, il n’y a qu’un remède : la présence continue de Melück auprès du malade. Frenel en parle à Mathilde, qui, mettant de côté toute jalousie et ne songeant qu’au salut de son époux, va chercher