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lui arrivent, les cadeaux pleuvent sur elle ; elle reçoit les hommages avec dignité, et pour les cadeaux elle les accepte, mais à une seule condition, c’est d’y répondre par des présens d’une valeur plus grande, d’où l’on est pourtant bien obligé de conclure que ce n’est point la cupidité qui l’a poussée à monter sur la scène, et que l’appât de l’or ne saurait avoir aucune influence sur son cœur, chose assez rare d’ailleurs dans son nouvel état.

Il va sans dire que les amoureux ne manquent pas. Melück agrée les empressemens de son plus doux sourire, offre loyalement son amitié ; mais c’est là tout ce qu’on peut prétendre, et ceux qui veulent aller plus loin perdent leur peine. Alors les questions se posent, les conjectures vont leur train. Évidemment une pareille conduite ne saurait tenir que du parti pris. C’est sans doute un nouveau rôle qu’elle joue. Lassitude et chagrin de cœur, disent les bonnes âmes ; corruption ! s’écrient les libertins avec cette manie de se creuser la cervelle pour trouver le vice au fond des choses les plus simples. Sur ces entrefaites, le chevalier de Saint-Luc rentre en France, il revoit Melück-Maria, et le goût qu’il s’était d’abord senti pour elle se change en une véritable passion. Peu à peu l’amour-propre s’en mêle : piqué au jeu par ses amis, il fait le pari de réussir coûte que coûte, et le voilà mettant en œuvre tous les moyens, même les plus déshonnêtes, pour arriver à ses fins ; mais l’intrigue échoue et tourne à la confusion du chevalier, qui presque aussitôt quitte Marseille.

C’est un agréable métier que celui de grande coquette, seulement à la longue il devient monotone. Fatiguée du spectacle de tant de souffrances auxquelles il ne lui est point possible de compatir, un beau jour Célimène congédie de l’éventail tous ses adorateurs, et se livre sans plus de distraction à ses études théâtrales. Deux mois la séparent encore du moment de ses débuts, Iorsqu’arrive à Marseille un languissant jeune homme à qui des peines amoureuses ont rendu insupportable le séjour de Versailles. Forcé de fuir la cour et de courir le monde en chaise de poste pour échapper soi-disant au mal qui l’obsède, le tendre comte de Saintrée vit absorbé dans une seule image : il ne rêve, il ne voit que Mathilde, il ne saurait parler que de Mathilde, et tel est le culte superstitieux voué à cet aimable et charmant objet de son idolâtrie, qu’il porte toujours sur lui l’habit de taffetas bleu dont il était paré le jour de leur séparation. Sur ce frêle et chatoyant tissu, les larmes de Mathilde ont roulé comme des perles au moment des adieux. C’en est assez pour que notre mélancolique gentilhomme ne s’en dépouille jamais, fût-ce même parmi les ombres, auxquelles il compte bien aller rendre visite dans son habit de taffetas bleu, lorsque les rigueurs du destin qui l’accable l’auront enfin poussé sur l’autre rive du Cocyte.