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roi Jean. Percy, le savant éditeur des Reliques of ancient poetry, veut que le brave archer ne soit ni plus ni moins qu’un yeoman ; c’est le dernier rang des gens de guerre ; après le yeoman, il n’y a plus que le valet et le serf. L’illustre auteur de l’Histoire de la Conquête d’Angleterre par les Normands, M. Augustin Thierry, a donné du personnage de Robin Hood l’explication la plus ingénieuse et la plus intéressante. À son avis, c’est un de ces proscrits saxons qui, préférant l’exil et les dangers à l’esclavage, se cachaient dans des forêts épaisses ou dans des marais inaccessibles, et continuaient contre les usurpateurs normands une guerre de tous les jours. Cette hypothèse, appuyée de nombreux fragmens des ballades, a fourni à M. Thierry un de ses meilleurs chapitres. L’auteur anonyme d’une étude qui a paru en 1841 dans la Westminster Review se rapproche beaucoup de l’opinion de M. Thierry ; il ne fait pas de Robin un Saxon insoumis qui prolonge dans les forêts la résistance à la conquête des Normands, mais il suppose que le franc-archer est un des proscrits qui survécurent à la défaite des barons révoltés à Evesham et à la mort de Simon de Montfort en 1265. C’était un homme du peuple, mais un homme libre, un yeoman. Privé de ses biens, exheredatus, il se jeta dans les forêts pour y trouver la vengeance et la liberté. M. Gutch, éditeur du dernier recueil des ballades de Robin Hood, qu’il a bien augmenté, se range à l’avis du rédacteur de la Westminster Review. Le yeoman, après avoir combattu dans les rangs du parti national et anglais, le parti des lois anglaises et de la grande charte, se fait braconnier, et, joyeux dans la verte forêt, prend de temps en temps sa revanche sur ses ennemis. M. Thomas Wright, un des écrivains les plus versés dans les antiquités nationales, embarrassé des difficultés que soulève chacune des hypothèses de ses devanciers, a recours à un moyen extrême : ne pouvant se décider à prendre Robin Hood pour un comte de Huntingdon, ni pour un Saxon révolté, ni pour un bon yeoman qui a combattu pour la grande charte, et ne trouvant pas de condition nouvelle à lui donner, il en fait un esprit, un démon, une de ces superstitions populaires dont les Anglais d’autrefois peuplaient les forêts et les solitudes. C’est désormais un de ces lutins que les imaginations saxonnes ont importés des vieilles forêts de Germanie, et voilà Robin Hood devenu je ne sais quel dieu teutonique.

M. Joseph Hunter enfin, auteur de petites monographies historiques pleines de science, a découvert un Robin Hood parmi les huissiers de la chambre du roi Édouard II, en 1323. Or il se trouve que dans le Lyttle Geste Robin Hood fait sa paix avec un roi nommé Édouard, et devient son serviteur : vite le héros des ballades devient huissier de la chambre, ce qu’on appelait portour dans le français corrompu qui se parlait ou s’écrivait à la cour d’Édouard II. Bien plus, nous apprenons le chiffre de son traitement, il recevait trois pence par jour. Ne croyez pas cependant que M. Hunter se soit décidé légèrement à mettre le fier outlaw dans une fonction si pacifique. Édouard II est le seul roi de ce nom qui ait visité la forêt de Sherwood, où séjournait Robin Hood dans les conditions qui sont marquées par le poète auteur du Lyttle Geste. Par une singulière coïncidence, le Robin Hood de la forêt et celui de la chambre du roi ne restent l’un et l’autre que quinze mois au service d’Édouard, et sur ce point le Lyttle Geste se trouve vérifié par