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Cornelio s’habillait en marin. Le mousse, débarrassé de sa livrée, couru en avant pour éveiller le matelot du yacht. Un vent tiède, qui soufflait par légères rafales, promettait d’animer les voiles ; mais en apprenant qu’il nous serait contraire pour revenir, les dames témoignèrent de l’hésitation. D’importantes affaires les rappelaient à la ville de grand matin. Cornelio leva la difficulté en proposant d’envoyer un carrosse de place au village de Bagheria, pour assurer le retour à Palerme. Sur une petite place où se tenaient les fiacres, nous trouvâmes une seule voiture. Le cocher vint au-devant de nous, et don Cornelio avait déjà conclu le marché, lorsqu’il s’aperçut que le carrosse était une vieille berline fermée.

— Notre contrat est nul, dit-il ; je ne veux point d’une bastarda.

— Excellence, répondit le cocher, mes chevaux sont bons.

— Jamais, s’écria Cornelio, jamais je ne monterai dans une bastarda. On ne m’y reprendra plus.

Je lui demandai s’il craignait autant les voitures fermées que le vin de Marsala.

— Plus encore, me répondit-il, et pour la même cause. Je suis superstitieux.

— Excellence, dit le cocher, il fera frais ce matin, et vos dames gagneront des fluxions dans un carrosse découvert.

— Il a raison, crièrent les dames ; nous voulons la bastarda.

— Eh bien ! soit, reprit Cornelio ; vous reviendrez en voiture, et moi je resterai sur le yacht.

Le carrosse partit pour Bagheria, tandis que nous descendions vers le quai de Santa-Lucia. Le iachetto était un simple bateau de pêche, mais maté en fourche et ponté. Le matelot nous attendait. Je m’assis à l’avant, les dames se rangèrent au centre sur deux banc et le patron se mit à la barre pour gouverner lui-même. Après avoir couru quelques bordées, le yacht tourna devant la citadelle de Garita ; il déploya ensuite toutes ses voiles et prit la direction de la pleine mer en se cabrant sur le dos des vagues. A la clarté de la lune Palerme ressemblait à une ville orientale ; la baie demi-circulaire laquelle un dicton local a donné le nom de conca d’oro était devenue une coquille d’argent. Au bout de trois quarts d’heure, l’équipage exécuta une nouvelle manœuvre, et le yacht se dirigea rapidement vers le cap Zaferano, dont l’aurore commençait à rougir le sommet. Avant de doubler la pointe, nous entendîmes de loin les cloches de plusieurs villages sonner l’Angélus, et bientôt après le ciel parut tout en feu.

— Voici le moment, dit Cornelio, de pêcher des lacerti.

Le mousse apporta une grosse bobine montée en rouet, et sur laquelle était roulé un cordeau qui se terminait par une masse de plomb. Don Cornelio jeta le plomb dans la mer en dévidant la