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une abondante récolte d’historiettes. Surtout vivez la nuit ; sans cela vous ne verrez rien de ce qui se passe.

— Où faut-il aller ? répondis-je ; un étranger a besoin d’un pilote.

— Nous le trouverons sans peine. Suivez-moi, je vous mettrai en bonnes mains.

On venait de baisser la toile. Le prince aborda dans le couloir de premières loges un jeune homme d’une figure charmante, auquel je dit trois mots que je n’entendis pas, et puis il s’éloigna en me souhaitant beaucoup de plaisir,

— Nous avons, me dit le jeune homme, plus d’un pilote capable de bien diriger votre seigneurie. J’ai aperçu tout à l’heure au parterre l’homme qu’il lui faut.

Dans le couloir du pian-terreno, mon guide frappa sur l’épaule d’un beau garçon de trente-cinq ans, d’une encolure athlétique, et lui répéta la phrase du prince P.., que je n’avais pas entendue. L’hercule sicilien m’adressa un sourire de courtoisie, et, fixant sur mon compagnon ses grands yeux d’un bleu de mer, il fit avec les paupières et les muscles du visage trois ou quatre petites grimaces qui apparemment exprimaient quantité de choses, car le jeune homme lui répondit :

— Certainement, et tout ce que tu pourras encore imaginer pour faire passer à questo signore une bonne nuit sicilienne. Tu es prié seulement de le ramener chez lui demain sain et sauf, avec ses quatre membres sans plaie ni contusion.

— Nous tâcherons, répondit l’athlète, d’obéir fidèlement aux ordres du prince.

— À présent, me dit le jeune homme, permettez-moi de vous présenter mon ami, don Cornelio ***, surnommé le corsaire Dragut, homme du monde ou du peuple selon l’occasion, expert en toutes sortes de métiers, matelot, pêcheur, chasseur, cocher, maniant aussi bien l’épée que la fourchette, enjôleur de jolies filles comme un Maltais, doué d’une force peu commune et plus doux qu’un agneau, lorsque la colère, la rancune, la jalousie ou aucune Autre maladie quelconque ne règne dans son âme, ouverte à-toutes les passions comme un hangar à tous les vents.

— Ne croyez pas qu’il me flatte, interrompit le seigneur Cornelio ; il oublie la moitié de mes mérites.

— Un si brave compagnon, reprit le jeune homme, saura donner de l’occupation à votre seigneurie, et si j’apprends que la partie de plaisir vous a menés au sommet de l’Etna ou sur la côte de Tunis, je ne m’en étonnerai pas.

— Je suis préparé à tout événement, répondis-je.

— Sur ce, je souhaite bonne chance à vos seigneuries ; je les