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et les nouvelles propositions qui devaient être en route. Le roi impatienté, trouvant avec raison que si les propositions qui étaient, disait-on, en route étaient acceptables, elles seraient aussi bonnes après la signature du traité qu’avant, ordonna de passer outre. Quant au duc de Mecklembourg et à M. de Budberg, une fois la convention signée, ils furent réduits à feindre par tactique une fausse satisfaction. Ils affectèrent un grand calme et assurèrent partout que la convention n’était point désavantageuse à la Russie. Il faut d’ailleurs convenir, pour être juste, qu’ils avaient amplement sujet de se consoler et d’espérer, lorsqu’ils voyaient le zèle et la faveur croissante des partisans de la Russie à la cour de Potsdam, tandis que la disgrâce avait fini par atteindre et éloigner des affaires tous les partisans déclarés de l’alliance occidentale.

Les nouveaux engagemens contractés par le cabinet de Berlin envers l’Europe par le protocole du 9 avril, envers l’Autriche par le traité du 20, avaient en effet plus irrité que découragé le parti de la croix. Il n’avait négligé aucune occasion de témoigner publiquement ses sympathies russes et de mêler à ses témérités le nom du roi. L’affaire de l’équipage du Navarin est un échantillon de son audace. Le Navarin, appartenant à la marine militaire russe, se trouva bloqué en Hollande par la déclaration de la guerre entre la Russie et les puissances maritimes. Le navire fut vendu, les officiers et les matelots revinrent en Russie par terre. Leur passage en Prusse fut l’occasion d’une manifestation dont la Gazette Militaire, rédigée par un lecteur du roi, et la Gazette de la Croix se plurent à publier, le récit. Suivant ces journaux, une réception solennelle fut faite à Potsdam, au nom du roi, aux officiers et aux matelots du Navarin Un banquet leur fut donné, et ce banquet fut présidé par le général de major comte de Schlieffen, commandant de Potsdam, qui porta la santé de l’empereur de Russie. Le banquet fini, chaque sous-officier de l’équipage reçut un ducat, et chaque matelot un thaler « de la part des princes de la maison royale, » disaient toujours la Gazette Militaire et la Gazette de la Croix. Les chefs du parti, le général de Gerlach, le comte de Dohna, affectaient cependant de mettre leurs prédilections russes à couvert sous une hostilité déclarée contre la France. Le maréchal de Dohna, de passage à Dantzig, s’exprima sur la France, devant le corps d’officiers de cette ville, dans les termes les plus injurieux : « Je suis déjà entré deux fois en France, dit-il; j’espère bien marcher sur Paris pour la troisième fois de ma vie. » Il est vrai que les journaux du gouvernement censurèrent cette grossière bravade; mais le vieux maréchal n’en était pas moins un des personnages les plus influens de la cour, où il occupait auprès du roi.