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Paskiévitch. On ne put pas maintenir de pareils choix. Les négociations furent concentrées entre le général Hess et M. de Manteuffel. Le premier ministre, qui n’est rien moins qu’Autrichien, soutint sur plusieurs points les résistances du roi aux demandes de l’Autriche. Lorsqu’il fut question de poser les cas de guerre, Frédéric-Guillaume prit l’alarme et fit toute sorte de difficultés. Le général Hess proposait d’indiquer dans le traité, comme justifiant l’entrée en campagne de l’Autriche, tout mouvement de l’armée russe au-delà de la muraille de Trajan. Le roi s’emporta et s’écria avec colère qu’il ne voulait pas faire la guerre à la Russie, qu’il ne le voulait à aucun prix. Le général Hess désirait que la Prusse assurât à l’Autriche la coopération de cent cinquante mille hommes; mais le roi se révoltait chaque fois qu’on lui en parlait. Le général de Gerlach aurait voulu que l’Autriche ne pût rien commencer sans le consentement préalable de la Prusse, en d’autres termes que la Prusse tînt toujours l’Autriche; mais cette prétention n’était pas acceptable : le cabinet de Vienne n’avait pas refusé d’abdiquer sa liberté d’action entre les mains du colosse moscovite pour la lier aux caprices vétilleux de la cour de Berlin. Il fallut pourtant en finir. Le gouvernement prussien avait fait les premières avances, il se sentait isolé en Europe et se savait impopulaire au sein même de la confédération. L’opinion publique en Prusse le poussait en avant. Après une adresse vigoureuse de la chambre de commerce de Breslau, une adresse plus énergique encore de la chambre de commerce de Berlin s’élevait contre la politique de neutralité. Le traité d’alliance fut signé le 20 avril. Cet acte se composait de trois parties, un traité, une annexe et une convention militaire qui devait rester secrète. Deux cas de guerre y étaient posés pour l’Autriche : l’occupation indéfinie des principautés et tout effort accompli ou tenté par les armées russes pour franchir les Balkans. L’Autriche s’engageait à faire face à la Russie, si les cas de guerre se réalisaient, avec deux cent cinquante mille hommes. La Prusse s’engageait de son côté à concentrer, selon les circonstances, cent mille hommes, dans l’espace d’un mois, dans ses provinces orientales, et, si cela était nécessaire, à porter son armée à deux cent mille hommes.

On pense bien que la conclusion d’un pareil traité n’eut pas lieu sans exciter dans l’entourage du roi, si favorable à la Russie, une émotion profonde. Il est d’ailleurs probable que, si Frédéric-Guillaume consentit à laisser poser des cas de guerre contre la Russie, ce fut avec la pensée que ces éventualités ne se présenteraient pas. Le roi de Prusse était alors en plein rêve de paix : il croyait au succès des missions pacifiques qui se croisaient sans cesse entre Pétersbourg et Berlin. La cour de Pétersbourg avait paru entrer dans ses