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à quatre, il craignit de rester isolé en Europe. Il eut alors l’idée de conserver comme un débris de la vieille alliance du Nord, en contractant avec l’Autriche une alliance distincte et séparée de la nôtre. Ainsi uni à l’Autriche, il formerait au centre de l’Europe une force compacte qui permettrait à l’Allemagne de conserver une position intermédiaire entre les parties belligérantes et d’assister à la guerre dans une oisive neutralité.

Ce fut dans cette pensée que le roi de Prusse envoya, au milieu de mars 1854, le colonel de Manteuffel à Munich, où se trouvait l’empereur François-Joseph. L’impression que le colonel rapporta de Munich n’était guère en harmonie avec le rêve du roi Frédéric-Guillaume. L’envoyé prussien fut frappé des sentimens énergiques et même belliqueux du jeune empereur. Cependant, à peine de retour à Berlin, le colonel de Manteuffel fut réexpédié à Vienne avec une nouvelle lettre autographe du roi à l’empereur d’Autriche. Les clauses secrètes du traité d’Olmütz par lesquelles l’Autriche et la Prusse s’étaient réciproquement garanti en 1850 leurs territoires allaient expirer au mois de mai. Le roi de Prusse en offrait le renouvellement en ajoutant, au bénéfice de l’Autriche, la garantie de la Hongrie à celle des provinces italiennes. Il espérait par là rassurer son neveu et retenir l’Autriche en dehors de l’action. L’empereur accepta l’ouverture, mais en étendit la portée. Ce qu’on voulait à Vienne, c’était une assistance sans réserve et une solidarité complète de la part de la Prusse. L’empereur d’Autriche envoya le général Hess à Berlin, et demanda une convention militaire relative aux affaires d’Orient.

Le roi de Prusse se trouva ainsi pris au mot; il s’était trop avancé pour pouvoir reculer. Il ne lui restait plus qu’à disputer le terrain sur lequel l’Autriche voulait établir le traité. L’Autriche demandait que la Prusse réunît un puissant corps d’armée sur la frontière de la Gallicie, qui pût la garantir contre une attaque des Russes lorsqu’elle s’engagerait dans une opération sur le Danube. Mais quand et comment s’engagerait-elle ? Voilà le champ sur lequel le roi se débattit pour le restreindre autant que possible. Cette négociation eut plus d’un incident. Le général Hess avait demandé à être mis en rapport avec deux généraux pour fixer les points de la convention militaire. Les lois de la hiérarchie indiquaient pour cette mission le général de Bonin, ministre de la guerre, et le général de Reyher, chef d’état-major-général de l’armée; mais ils étaient favorables à l’alliance occidentale : on désigna à leur place les généraux de Groeben et de Gerlach. On raconte qu’en entendant nommer les étranges collaborateurs qu’on lui destinait, le général Hess s’écria qu’on ferait aussi bien de l’aboucher tout de suite avec le maréchal