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l’empereur Alexandre à lord Castlereagh : « Le peuple russe, oui; — c’est le peuple qui veut les conquêtes, mais pas l’empereur. » A en croire les partisans de la Russie à Berlin, le roi aurait mêlé, il est vrai, aux espérances que lui faisait concevoir l’émancipation des chrétiens une vive antipathie contre les Turcs. Si l’on s’avisait, devant un membre du parti de la croix, de rappeler les engagemens pris depuis six mois par la Prusse dans les protocoles de Vienne en faveur de l’intégrité et de l’indépendance de l’empire ottoman, le partisan de la Russie vous riait au nez : « Comptez-y; nous savons, nous, ce que désire le roi : c’est la fin et la ruine de ces misérables Turcs! »

Le roi de Prusse croyait donc tenir dans l’émancipation des chrétiens la solution de la question d’Orient. Deux autres pensées le dominaient : il voulait d’un côté conclure un arrangement avec l’Autriche de façon à rallier au centre de l’Europe une force une et compacte, et à retenir l’Allemagne dans une attitude expectante et réservée comme un arbitre entre les parties belligérantes. Il était d’un autre côté résolu, pour sa part, à ne pas se mêler aux hostilités, ne faire la guerre à personne. Il ne rêvait d’autre rôle, il n’avait d’autre ambition que d’apporter le rameau d’olivier aux combattans. La coterie de la croix, on le devine aisément, blâmait dans ce parti pris la volonté arrêtée de n’entrer jamais en hostilité contre l’Angleterre et la France, mais elle s’emparait de la même résolution manifestée à l’avantage de la Russie. Quant à nous, tout en regrettant les conclusions auxquelles s’arrêtait le roi de Prusse, nous respectons, même dans celles de leurs conséquences qui nous paraissent erronées, les sentimens philanthropiques qui animaient évidemment ce prince, et nous ne voulons profiter de cette échappée sur les vues qu’on lui prêtait dans son entourage qu’afin de mieux comprendre et d’éclairer les incidens qui vont suivre.

Et d’abord, pour en finir avec la convention, le gouvernement prussien expliqua son refus par deux dépêches adressées à Vienne. Le premier de ces documens exprimait le désir qu’avait la Prusse de maintenir l’accord qui avait subsisté jusque-là entre les quatre puissances malgré les différences de position et d’attitude. Ces différences allaient s’accroître encore, puisque la France et l’Angleterre étaient à la veille de passer à l’état de guerre, et que l’Autriche elle-même serait peut-être amenée, par sa position, à prendre une part active aux événemens. La Prusse ne demandait pas mieux que de s’associer sans réserve, comme par le passé, aux travaux de la conférence actuelle; il était donc superflu de remplacer celle-ci par une conférence nouvelle. La Prusse signerait tous les protocoles qui seraient de nature à être acceptés à la fois par les quatre puissances,