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moins du monde à son indépendance et l’entraîner à la guerre malgré lui. l’on était dans le feu de ce travail de persuasion, lorsqu’arriva une dépêche de M. de Bunsen, conçue dans les termes les plus pressans, où le ministre prussien à Londres gourmandait les lenteurs de son gouvernement et s’étonnait que la Prusse n’eût point pris encore un parti décisif contre la Russie. Cette dépêche fit éclater l’orage : le roi y vit la confirmation de ses soupçons. Il venait à peine de la lire, que MM. de Manteuffel et de Pourtalès entrèrent dans son cabinet. Ces messieurs espéraient avoir triomphé des hésitations de Frédéric-Guillaume; ils regardaient la question comme à peu près gagnée au fond, et pensaient n’avoir plus à s’entendre avec le roi que sur les réserves dont il accompagnerait la signature de la convention. M. de Pourtalès reçut un accueil très froid. N’en devinant pas la cause, il crut qu’il fallait porter un dernier coup, et reprit avec chaleur tous ses argumens. Quand il eut fini, le roi, qui l’avait écouté sans l’interrompre, mais avec des marques visibles d’impatience, tira de sa poche la dépêche de M. de Bunsen, et s’écria en colère qu’on l’avait trompé, qu’on s’était entendu pour donner des assurances qu’il n’avait ni autorisées ni connues, et qu’on voulait l’engager malgré lui dans une guerre avec la Russie. Le roi ordonna à M. de Pourtalès de ne plus lui reparler de la question d’Orient et de ne plus s’en mêler. M. de Pourtalès sortit, et M. de Manteuffel essaya d’arranger les choses; mais c’en était fait. La crise était dénouée aux dépens des partisans de l’alliance occidentale. Ils étaient ruinés dans l’esprit du roi de Prusse; ils devaient être bientôt écartés l’un après l’autre des affaires; la disgrâce de M. de Pourtalès était le signal de leur déroute.

C’est surtout à dater de ce jour qu’il devient difficile et pénible de suivre la politique de la cour de Potsdam. Nous ne reculerons pourtant point devant cette tâche ingrate; La grandeur des intérêts européens qui sont en jeu dans les mouvemens du cabinet de Berlin, l’estime et la sympathie que mérite cette intelligente et noble nation prussienne, nous donneront le courage de débrouiller cette confusion. Tout désormais se croise et s’enchevêtre en même temps et à la fois. Le gouvernement aura la prétention de persévérer dans la politique des protocoles de Vienne et de professer une politique de neutralité; il demandera un emprunt aux chambres, et, malgré l’opinion vivement prononcée du parlement et du pays en faveur de l’alliance occidentale, il montrera pour la Russie une incurable partialité, et ne se lassera pas d’imaginer à son profit toute sorte d’expédiens chimériques; il voudra ralentir la marche de l’Autriche, il espérera y réussir en contractant avec elle un traité particulier, puis à l’échéance des stipulations de ce traité il se réservera d’équivoquer