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par son dévouement fraternel. Les instrumens n’ont donc pas manqué à Napoléon; sa famille l’a servi aussi loyalement que la France, et je ne sais pas de condamnation plus éclatante à porter contre la pensée impériale de 1807 que les vains efforts et les longues tortures de ce prince.

Redevenu en 1814 le serviteur et le premier sujet de son frère, Joseph comble l’empereur malheureux des témoignages d’une tendresse dont le silence de celui-ci avait depuis longtemps interrompu les effusions. Aux derniers momens de l’empire, Joseph reçut la mission de défendre contre sept cent mille hommes Paris, — Paris sans armée et sans armes[1], et la fatalité qui le poursuit associe son nom à une capitulation dont il n’est pas plus responsable que de la perte de l’Espagne. Il y a dans ce dernier acte de la carrière du frère aîné de Napoléon beaucoup de malheurs accumulés, mais on y chercherait vainement des fautes. Il n’est pas en effet un acte, si désastreuses qu’en aient été les suites pour la cause de l’empire, qui n’ait été consommé d’après les instructions formelles auxquelles l’héroïsme et le génie auraient désobéi peut-être, mais qui devaient être scrupuleusement respectées par la fidélité modeste à laquelle on avait si rudement appris à toujours douter d’elle-même.

Avec l’empire finit la vie publique de Joseph. L’ancien roi de Naples et d’Espagne, devenu le citoyen honoré d’une république, survécut vingt-trois ans à l’homme qu’il avait aimé et servi avec une fidélité que ne lassa ni le malheur ni l’injustice. Il prend aujourd’hui sa place dans l’histoire. Les torts de Joseph furent ceux de sa position et surtout de son dévouement. Ses qualités au contraire sont à lui seul. Il est impossible de n’être pas frappé, à la lecture de cette volumineuse correspondance, de la bonté de son âme, de la rectitude habituelle de son esprit, et surtout de la sagacité de ses prévisions. Ces qualités-là sont chez Joseph à l’état latent : il ne sait ni les mettre en relief ni les faire valoir, trop souvent même il accepte en ayant raison l’attitude d’un homme qui a tort. Aussi n’a-t-il pas fallu moins que l’importante publication qui nous a aidé dans cette étude pour mettre chacun à sa place, et pour restituer une sorte de physionomie propre à l’homme doux et timide perdu dans les rayons de la gloire fraternelle.


L. DE CARNE.

  1. Le défaut absolu d’armes et de munitions pour défendre Paris est une circonstance nouvelle mise dans tout son jour par la correspondance militaire qui remplit le dixième volume des Mémoires de Joseph.