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un mérite de son refus auprès de M. de Budberg, comme ayant paralysé une démarche hostile à la Russie, et auprès de la France et de l’Angleterre, comme ayant empêché l’Autriche de séparer l’Allemagne des puissances maritimes et de lui créer une situation intermédiaire entre la Russie et l’Occident.

Au surplus, le sens pratique de la neutralité allemande était bien celui que nous avons défini; elle était, pour emprunter un mot au vocabulaire subtil de la diplomatie germanique, unilatérale ; elle n’était inquiétante que pour la Russie. La preuve, c’est que la Russie sentit la première la nécessité d’interroger les puissances allemandes sur le sens de leur neutralité, et voulut la faire interpréter à son profit par des actes catégoriques. Ce fut l’objet de la mission qui conduisit le comte Orlof à Vienne à la fin de janvier 1854.

Le comte Orlof portait au cabinet autrichien un projet de protocole et une lettre explicative de M. de Nesselrode. Le même protocole et le même commentaire furent présentés simultanément au roi de Prusse et à M. de Manteuffel par M. de Budberg.

La pensée du protocole que la Russie proposait à la signature de la Prusse et de l’Autriche était d’établir une union plus intime des trois puissances en présence des dangers qui menaçaient la paix du monde, et une entente sur la ligne de conduite que les trois cours auraient à suivre tant entre elles que vis-à-vis des puissances occidentales. Voici les points stipulés dans ce projet de protocole : 1° la guerre éclatant entre la Russie d’une part et la France et l’Angleterre de l’autre, les deux puissances allemandes devaient s’engager à observer la plus stricte neutralité, et déclarer, dans le cas où les puissances occidentales voudraient exercer sur elles une pression quelconque, qu’elles étaient prêtes à défendre leur neutralité les armes à la main contre ceux qui ne voudraient pas la respecter; 2° les trois puissances devaient regarder toute attaque de la France et de l’Angleterre dirigée contre le territoire de la Prusse, de l’Autriche ou de tout autre état de la confédération, comme une attaque à leur propre territoire, et être prêtes à porter assistance à la puissance attaquée selon que l’exigeraient les circonstances et les rapports des commissaires militaires; 3° l’empereur de Russie renouvelait l’assurance de son désir de terminer la guerre aussitôt que l’honneur et les intérêts de son empire le lui permettraient. Dans l’espoir que le cours des événemens changerait la situation des choses en Orient, l’empereur de Russie prenait l’engagement de ne rien conclure avec les puissances maritimes sans s’être préalablement entendu à ce sujet avec ses alliés.

La lettre autographe de M. de Nesselrode qui accompagnait ce projet de protocole est un curieux document. Le chancelier