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d’ordonnance, n’emmenant avec lui ni ministres ni aucune des personnes de sa cour connues pour leurs prédilections russes. La visite de Varsovie fut rendue au roi de Prusse, à Potsdam, par l’empereur de Russie. En somme, malgré ces trois voyages d’Olmütz, de Varsovie et de Potsdam, malgré le fracas de ces allées et venues de têtes couronnées, l’empereur Nicolas ne rapporta point d’Allemagne ce qu’il y était venu chercher. L’empereur d’Autriche avait subordonné ses promesses aux engagemens pris par le tsar de ne pas franchir le Danube et de ne pas incorporer les principautés à la Russie. Le roi de Prusse, auquel le tsar demandait au moins sa coopération en Pologne dans le cas d’une insurrection, ne voulut contracter aucun engagement. L’assaut avait été rude à Potsdam contre M. de Manteuffel; mais le premier ministre et le roi demeurèrent inébranlables sur le terrain de la neutralité. Ils virent partir l’empereur Nicolas en n’ayant rien aliéné de leur liberté d’action au profit de la Russie.

Ceci se passait dans les premiers jours d’octobre 1853, sous le coup de la déclaration de guerre de la Porte à la Russie. Ce fut en ce moment que, sur les interrogations de M. de Buol, M. de Nesselrode déclara que son cabinet était prêt à rentrer dans les négociations, si la Porte proposait des préliminaires de paix. Le chancelier de Russie autorisait M. de Buol à instruire Constantinople de ces propositions. Au lieu de transporter directement cette communication à la Porte, on sait que M. de Buol s’en servit comme d’un moyen de faire revivre la conférence de Vienne, de maintenir le débat sous le contrôle concerté des quatre puissances, et de conserver la position arbitrale prise par les grands cabinets entre la Turquie et la Russie. Cette hardie manœuvre diplomatique étonna le gouvernement prussien, dont on réclamait la signature au protocole du 5 décembre. Que faire ? La Prusse ne voulait pas aller seule en avant du côté de la Russie; son parti à cet égard était bien pris. Pouvait-elle rester seule en arrière ? Mais alors c’était abandonner son rang de grande puissance, c’était s’exclure soi-même de toute participation aux grandes affaires de l’Europe. Une pensée calmait les scrupules du roi : si le protocole de la conférence devait contrarier son beau-frère, ce n’était pas la Prusse qui avait pris dans cette affaire l’initiative. M. de Manteuffel ne se dissimulait pas que l’empereur Nicolas allait éprouver un violent chagrin ; mais franchement est-ce que l’intervention si sage de la conférence n’était pas de nature à arrêter la Russie sur une pente fatale, et ne servait pas les intérêts bien entendus de l’empereur ? La nouvelle de la signature de l’acte du 5 décembre produisit à Berlin une vive sensation. Où l’on en fut surtout décontenancé, ce fut parmi les représentans des cours secondaires d’Allemagne, dans ce petit monde affairé, curieux, important et