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note de Vienne et du rejet des modifications turques par la Russie Pressenti sur l’idée de donner une garantie européenne à l’indépendance et à l’intégrité de la Turquie, il se montra disposé à entrer, quand le moment serait venu, dans un arrangement semblable. Le principe de l’action collective des quatre puissances dans les affaires de Turquie avait été posé par la réunion de la conférence de Vienne; M. de Manteuffel en acceptait les conséquences diplomatiques. Ce principe si contraire aux traditions et aux prétentions de la politique russe en Orient excita promptement les défiances du cabinet de Pétersbourg. L’empereur Nicolas en voulait au cabinet de Vienne du rôle qu’il avait pris dans la conférence; son irritation portait principalement contre M. de Buol, auquel il attribuait tous les torts qu’il imputait à l’Autriche; elle épargnait encore l’empereur François-Joseph. Le tsar, sentant le péril que son influence courait en Allemagne, essaya de la ressaisir par son action personnelle sur les souverains d’Autriche et de Prusse, et se rendit aux revues d’Olmütz.

Ce voyage d’Olmütz était une épreuve critique pour la politique des grandes cours allemandes. Il était évident que l’empereur Nicolas voulait, par la réunion des trois souverains du Nord, raffermir la triple alliance et en montrer le prestige et la menace à l’Europe occidentale. La visite du roi de Prusse à Olmütz eût servi ce dessein. Frédéric-Guillaume IV avait été invité; suivant les conseils de M. de Manteuffel, il s’excusa. La Prusse fut représentée à Olmütz par le prince Guillaume, frère du roi et héritier présomptif, dont la présence était naturellement motivée par l’inspection des contingens fédéraux, et que sa discrétion et sa fermeté connue mettaient plus à même que le roi de tenir bon contre l’empereur Nicolas. Le péril ne fut qu’ajourné. Le tsar voulut reprendre à Varsovie la tentative infructueuse d’Olmütz. Tout à coup on apprit à Berlin le brusque départ de Frédéric-Guillaume pour Varsovie, où devait aussi se rendre l’empereur d’Autriche. Les hommes du parti de la croix, les adversaires de M. de Manteuffel, ne voulurent voir d’abord dans ce coup de théâtre qu’une espièglerie. Le roi, disaient les Gerlachs et leurs amis, profitait de l’absence de son prudent ministre pour lui échapper et s’amuser de sa surprise. Cette explication, qui ménageait si peu le roi pour aller piquer M. de Manteuffel, n’était point exacte. Voici la vérité : M. de Munster, qui remplit à Pétersbourg, comme envoyé militaire de la Prusse, les mêmes fonctions que M. de Benkendorf à Berlin, et qui avait accompagné l’empereur Nicolas en Allemagne, était venu deux fois à Potsdam pour inviter le roi de Prusse à la réunion de Varsovie. Deux fois Frédéric-Guillaume avait refusé; il ne crut pas pouvoir résister à une troisième invitation, encore plus pressante. Il partit accompagné seulement de deux officiers