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étrangères, M. de Lecoq. L’aristocratie militaire lui était favorable : le comte de Dohna, le général Wrangel, le commandant de la cavalerie de la garde, le général Groeben, lui étaient dévoués. Elle était établie au cercle intime de la cour dans la personne du grand-chambellan, le comte de Stolberg, du général de Gerlach, de M. Niebuhr. Enfin par l’un des frères du roi, le prince Charles de Prusse, et par les deux fils de ce prince, qui étaient ses partisans déclarés, elle arrivait à la famille royale et aux degrés du trône.

Cet étroit réseau d’influences parviendrait-il à envelopper la raison du roi et à entraîner sa volonté ? Là était la question. Lorsqu’un souverain a l’activité d’esprit et l’expansion de caractère qui distinguent le roi Frédéric-Guillaume IV, il a le privilège (c’est quelquefois un inconvénient) de ne pouvoir se soustraire au jugement de ses contemporains. Le roi de Prusse, pendant les quinze années de son règne, a trop vécu en dehors et a remué trop de choses pour que les traits de sa physionomie aient pu échapper au regard des observateurs les plus éloignés de lui; mais, lorsqu’on tient à concilier le respect avec la vérité, on est à l’aise pour dire sa pensée sur ce prince. Ses intentions sont si honnêtes, sa conscience est si religieuse, qu’il est impossible de mêler à la critique de ceux de ses actes qu’on ne peut approuver aucun mauvais sentiment contre sa personne. Nous ne ferions que répéter ce que tout le monde sait en rappelant les qualités nombreuses, brillantes, aimables qui ornent l’esprit et l’âme de Frédéric-Guillaume. Ce prince a été pourtant souvent méconnu, et l’on a trop oublié qu’en lui les rares imperfections du souverain tiennent étroitement aux vertus et aux mérites de l’homme. Esprit vif et curieux, instruit et métaphysicien comme un Berlinois, épris de poésie et d’art, si on lui attribue une certaine indécision de jugement, elle ne vient que de la surabondance de ses idées. S’il est imbu des doctrines monarchiques par le sentiment même de sa haute vocation, s’il est amoureux du gothique et des formes féodales par romantisme littéraire, on doit avouer qu’il a bien compris le rôle naturel de son pays dans la confédération germanique, en donnant des institutions libérales à la Prusse. Si l’on est parfois tenté de déplorer l’abus que font de sa faveur quelques-uns des hommes qui l’approchent, il faut reconnaître que son âme ouverte et généreuse n’est que trop accessible à l’amitié. Parmi ces prétendus amis, il en est qui l’accusent d’avoir laissé échapper les occasions que les circonstances ont plus d’une fois offertes à son ambition; n’est-ce pas dire qu’on pourrait appliquer à Frédéric-Guillaume ce mot d’un homme d’esprit sur un autre souverain : «Sa conscience lui veut du mal ? » Et sait-on beaucoup d’éloges qui soient préférables à un tel blâme ?